Magazine Journal intime

[lu] les retranchées, roman d'anne lemieux

Publié le 08 avril 2015 par Tilly

Serge Safran Éditeur, février 2015,lien288 pages, 19 euros 90

quatrième de couve :  Au printemps 1919, Jeanne et ses trois filles se retrouvent en deuil du capitaine Vernet. À Angers, ce deuil devient interminable. Les jeunes filles étudient, se marient tant bien que mal, procréent même de nombreux enfants: en vain. Les guerres escamotent les hommes. Quand ce ne sont plus les guerres, ce sont les divorces, les abandons. Explorant la part d'absence que la Grande Guerre a laissée en partage à des millions de veuves et d'orphelins, Les Retranchées suit sur quatre générations les répercussions d'un deuil impossible et la déliquescence de l'identité masculine. Une magnifique mélopée, non dépourvue d’ironie, un sublime hommage à l’émancipation féminine. — Anne Lemieux, aujourd’hui maître de conférences à l'ENS de Lyon, est l'auteur de travaux sur les héritages littéraires, en particulier celui du romantisme dans l'Allemagne contemporaine. Elle a traduit de nombreux livres d'art et dirigé chez Somogy la rédaction de La Mode au XXe siècle.  Après Only you en 2004, Les Retranchées est son deuxième roman.
Au début, atmosphère, décors, uniformes, voiles de deuil, on se souvient de beaux films funèbres sur la fin de la Grande Guerre : Tavernier/Cosmos, Dupeyron/Dugain, par exemple. Le Capitaine Alphonse Vernet qui a été gazé dans les combats, meurt à l’hôpital d’Arras six mois après l’armistice, loin de sa femme Jeanne et de leurs trois petites filles qui vivent à Angers.
Mais très vite, le vague souvenir d'images animées sur un écran plat s'efface, inutile, devant le relief et la richesse des mots d'Anne Lemieux, écrivain-démiurge. Passé le premier chapitre énigmatique, un peu irréel, presque fantastique (il faudra absolument le relire, à la fin), on plonge de plain-pied dans le quotidien provincial des jeunes endeuillées qui ont à peine connu leur père. Au prétexte des convenances de l'époque, la jeune veuve de guerre s’enferme, se retranche, dans un silence buté, orgueilleux, entraînant sa propre mère et les fillettes. Par la suite, la descendance du Capitaine Vernet portera sur près d’un siècle les stigmates d’un long deuil sans larmes. Les hommes, pièces rapportées ou issus de la lignée d’infortune, s’esquivent, s’effacent, s’évaporent, abandonnent. Côté femmes, le malheur assumé de Jeanne Vernet se transmet de l'une à l’autre, d’une forme de fêlure à l’autre, jusqu’à Claire, arrière-petite-fille du gazé d’Arras, qui incarne enfin la volonté de vaincre pour elle-même la malédiction familiale.
Je me relis au fur et à mesure pour les fautes, et je crains soudain que les lignes plus haut fassent penser à un roman sombre, à une saga familiale glauque et plombante. Les Retranchées ne sont rien de cela. L’histoire est poignante, parfois grinçante, mais animée, secouée, du début à la fin par la narration fantaisiste de lubies familiales incongrues, de scènes balançant entre drôlerie et dévastation cruelle.


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