Quand il ouvrit ses volets ce matin, le soleil diffusait une lumière laiteuse sur la région. « Putain de merde ! » marmonna-t-il en refermant la fenêtre. Chaque année la situation empirait, l’exception devenait la règle et chacun en prenait son parti, comme un fait inéluctable contre lequel il n’y avait rien à faire.
Dans la chambre, le petit toussait dans son sommeil. Une sueur luisait sur son front et signe que sa nuit avait été agitée, son doudou gisait sur la moquette au pied de la table de nuit où s’entassaient ses médicaments contre l’asthme. L’homme s’approcha sans bruit, il était encore trop tôt pour réveiller le gosse.
Le rituel du petit-déjeuner avait débuté dans la cuisine où sa femme sortait les bols et la confiture tandis que le fumet du café qui passe, ramenait un faible sourire sur le visage de l’homme. Il s’installa à la table après avoir branché la radio qui débita en sourdine les informations de la nuit écoulée, une grève dans les transports venait d’être entamée, attentat sanglant en Afrique, match nul entre les deux premiers du championnat de foot, les nouveaux films à l’affiche, un pic de pollution prévue aujourd’hui à Paris… Comme d’habitude, les infos se succédaient les unes aux autres, sans qu’on sache vraiment qu’elles étaient les plus importantes. D’ailleurs, comment pourrait-il y avoir une échelle de valeur entre les unes et les autres ? Chacun, y piochait en fonction de ses préoccupations ou de sa situation personnelle.
« Le petit a toussé toute la nuit » dit la femme sans lever les yeux de son bol de café noir qu’elle touillait machinalement avec sa cuillère. « Je sais, je l’ai entendu, et ça ne va pas s’arranger » répliqua-t-il tristement. Leurs regards se croisèrent un court instant. L’impuissance et la résignation se lisaient dans leurs yeux.
Nous n’étions qu’en avril, au printemps, la belle saison ne faisait que commencer. « La belle saison », une expression si vieillotte et tellement pleine d’ironie aujourd’hui. Pourtant il fut un temps, pas si éloigné que cela puisqu’il l’avait connu, où cette promesse de soleil à venir l’aurait mis en joie, lui inspirant mille projets de sorties en nature et activités physiques diverses, toutes ces choses qu’il avait remisées durant la mauvaise saison. Mais de nos jours, « soleil » signifiait pollution, c'est-à-dire activités réduites et tant qu’à faire, rester calfeutré chez soi.
Comment en était-on arrivés là ? Il l’avait vécu mais il était incapable de dire à quel moment la situation leur avait échappé. Lâcheté des politiques, incurie des industriels, égoïsme des particuliers, la démission collective ne faisait aucun doute, chacun repoussant sur l’autre la responsabilité de la situation. De toute façon il était trop tard pour pointer du doigt les responsables, ça n’avait plus d’importance, si tous n’en mourait pas, tous étaient frappés par ce mal insidieux qui s’infiltrait, invisible ou presque, dans nos rues, nos maisons, nos poumons.
Entre ceux qui gueulaient, mais un peu tard, et ceux qui la fermaient pour maintenir un statu quo favorable à leurs intérêts à courte vue, l’espoir n’avait plus sa place et il avait filé loin d’ici. « Une étude d’un magazine scientifique affirme que le nombre de rats en Ile-de-France serait en diminution notable. Cette constatation chiffrée reste néanmoins inexpliquée selon les responsables du magazine. « Comme si les rats fuyaient le navire avant la catastrophe finale », aurait déclaré l’un d’eux, estomaqué par sa propre réflexion lourde de sens… » L’homme éteignit la radio. « Putain de merde ! Vivement la pluie et la mauvaise saison… »