Cela étant, ami lecteur, si toi aussi tu te trouves dans une situation similaire, permets-moi de te mettre en garde sur des réflexes primaires qui, même s'ils sont légitimes, ne t'aideront pas à rendre ton coup de talon très efficace. Si c'est une sorte de ras-le-bol qui motive ton envie de changement, que tu broies du noir et que tu vois le mal partout, il se peut que ton attitude soit teintée d'impatience, d'agressivité ou carrément, que tu te sois transformé en un genre de gremlins, odieux et ronchon, à qui on aurait donné à manger après minuit au bord d'une piscine. Si tu ne changes pas d'état d'esprit, ce n'est pas un coup de talon pour t'élancer vers de nouvelles aventures que tu donneras mais un grand coup de pied par terre ; un coup libérateur certes, mais totalement vain : tu n'as pas bougé d'un pouce et en plus tu t'es fait mal au pied (avoue que comme bilan, on a vu mieux). L'idée n'étant ni de s'auto-flageller ni d'empirer une situation qu'on ne considère déjà pas glorieuse, il s'agit de faire un effort pour ne garder que le meilleur de chaque instant passé.
C'est ce que m'efforce de faire depuis quelques semaines et en particulier aujourd'hui en rangeant mon bureau, en mettant mes effets personnels dans un carton et en contemplant une dernière fois la (magnifique) vue de la fenêtre (comme quoi, les démissions se suivent mais ne se ressemblent pas : j'avais beaucoup moins de remords à renoncer à une vue sur cimetière il y a huit ans). J'essaye de dresser un bilan objectif de cette expérience que je m'apprête à conclure, convaincue que, d'une façon ou d'une autre, elle m'aura grandie et armée pour repartir du bon pied, solide et pleine d'entrain.
Un sac poubelle dans une main, un paquet de feuilles dans l'autre, je regarde les piles de dossiers recouvrir mon bureau, au point que le téléphone posé dans un coin soit difficile à repérer (je n'ai aucun scrupule à admettre que mon bureau est un joyeux bordel, d'autant plus qu'il paraît que les gens désordonnés sont souvent plus intelligents)(c'est pas moi qui le dis, c'est Einstein). Je déterre des mails imprimés vieux d'il y a sept ans, au moment de mon arrivée, quand ce même bureau était encore vide, immaculé et que je n'y avais pas encore tâché la moquette de café ni recouvert les murs de strates successives de post-it ou de plans médias sur trois ans.
J'enfile dans un grand sac mon Rubik's cube - mon arme anti-stress contre les empêcheurs de tourner en rond -, ma tasse de thé des après-midi d'hiver, mes épingles à cheveux qui bien souvent remplacent les trombones et je jette les affaires classées et les documents oubliés là depuis plusieurs années qui n'intéresseront plus personne après mon départ.
Dans mon bureau aujourd'hui c'est le défilé : il y a ceux qui passent, incrédules, pour vérifier que je suis bien en train de lever le camp, d'autres qui m'aident la larme à l'oeil, en disant qu'ils avaient fini par s'habituer à enjamber toute sorte de choses pour venir me parler. Finalement, ce sournois serait-il aussi sournois que je le pensais ? Et cette écervelée ? Et cet égocentrique (ami lecteur, je ne t'ai parlé pour le moment que du sournois mais - #TeasingDeOuf - dès que je serai hors-les-murs, j'aborderai le cas des autres empêcheurs). Vient forcément le moment où je me demande si je les ai bien jugés, ou si je devais les juger... tout simplement.
Et puis, il y a tous ces gens à l'extérieur avec lesquels j'ai travaillé et parfois tissé des liens étroits. Certains n'y croient pas, d'autres disent qu'on se retrouvera. Certains me déclarent que je leur manquerai terriblement. Ils me demandent mon numéro de téléphone pour garder le contact, comme ces amis de vacances qu'on oublie aussi vite qu'on les as rencontrés, dès lors qu'on a repris le rythme du train train quotidien.
Plus la journée passe, plus je me rends compte de ce que je laisse derrière moi - un bureau gai et ensoleillé, des collègues étonnamment émus, d'autres attendrissants, des souvenirs par dizaines, des " wagons-cafés "qui ponctuent l'après-midi, une routine et beaucoup de certitudes - sans vraiment savoir ce qu'il m'attend après. Le soulagement a laissé place au désœuvrement, sans transition. Maintenant que je la regarde de l'extérieur, je me dis qu'elle était chouette cette vie quand même. Est-ce que ça valait vraiment la peine de tout envoyer valser ? Heureusement, il y a toujours celui qui dit que c'est naturel d'avoir ce genre de sentiments : le contraire serait étonnant, il manquerait plus que je sois insensible face à ce grand chambardement.
N'empêche... Je finis par remettre inlassablement en question ce choix qui, il y a encore quelques jours, semblait évident : pourquoi je pars, en fait ? (bon sang mais c'est vrai ça, POURQUOI ? nom d'une pipe !)
(DOUTE PALPABLE)
C'est peut-être tout bête finalement.
Toutes les bonnes choses ont une fin, c'est pas plus compliqué.