Mon cher Victor,Assez drôle, cette illustration à ton article, Mirabelle ! Je t'assure que cela l'est nettement moins quand on le vit. Ah ? Cela t'est arrivé ? Pas plus tard qu'hier soir.
Il est 16 h 30. Une collègue passe me voir dans la classe, alors que je viens tout juste de lâcher les fauves : "Euh... Il y a des parents à la grille qui voudraient te voir... Est-ce que tu veux les recevoir tout de suite ou un autre jour ? Est-ce que je les fais monter ou tu descends à la grille ? Est-ce que tu veux que quelqu'un reste avec toi ?". Aie... J'ai soudain du mal à déglutir. Je sais très bien quel va être le sujet de conversation. Je ne suis pas préparée. Mais quand il faut y aller, comme on dit... Il faut y aller ! Je réponds donc que ces parents n'ont qu'à monter dans la classe et que j'essaierai de me débrouiller seule. Ce qui sera perçu comme une décision "courageuse" n'est en fait qu'une forme de lâcheté, car je crains plus que tout de n'être pas à la hauteur et ne souhaite pas offrir ma nullité en spectacle à l'équipe, qui, pour l'instant, semblait me percevoir comme une jeune instit' bosseuse et sympathique, bien que discrète. Je vois...
Les mamans montent. Elles sont trois. Je devine tout de suite, à les voir, que ce sont les mamans des meilleurs élèves de la classe. Les trois, justement, les trois et les seuls dont je n'ai jamais rien à dire... A part des compliments ! Les sourires sont de mise mais je me doute que le discours à venir ne va pas être des plus agréables à l'oreille. Elles entrent dans le vif du sujet. Aie. Il me semble repasser le grand oral du concours mais en mille fois plus important. Parce que ces dames sont venues défendre la chair de leur chair, le sang de leur sang, qui, selon elles, "rentrent tous les soirs de l'école avec un profond sentiment d'injustice". Aie. Je m'en doutais un peu. En début de semaine, alors que j'évoquais la punition ici même, j'ai voulu asseoir mon autorité le plus tôt possible, quitte à en pénaliser inutilement quelques uns (au nombre de deux ou trois sur vingt-six élèves...). Bon. Pas très malin de ma part, c'est vrai. J'ai voulu bien faire et ai tenté d'expliquer cela. J'ai également précisé que quand on menace, il FAUT mettre à exécution, sans quoi on perd toute crédibilité.
Je n'ai appris qu'hier soir que les punitions collectives étaient interdites. Du genre copier des lignes, par exemple. Aie. Je ne savais pas. Je ne savais pas et je m'en veux très fort de ne pas avoir su. On ne te l'a pas dit, à l'IUFM ? Il ne me semble pas. Je n'en ai bien évidemment pas fait part aux mamans qui ignorent que je suis encore en formation. Heureusement. Je suis rentrée chez moi hier soir la mort dans l'âme, après avoir essayé de me dire que ce n'était "pas grave". Mon père, instit' lui-même, me l'a dit : "Tu sais, Mirabelle, il faut que tu te blindes, les parents interviennent de plus en plus dans l'Ecole". Mon Mystérieux Inconnu me l'a dit : "C'est rien, ça, Mirabelle. C'est toi l'instit', ne te remets pas trop en question. Tu te dévalorises trop. Considères-toi à ta juste valeur". Ma marraine T1 me l'a dit : "Ce qui est difficile c'est d'être atteint dans sa fonction mais tu vas voir, avec le temps, on s'y fait. Il y a parfois de bons conseils chez les parents mais il ne faut pas non plus trop se remettre en question".
Juste après le passage de ces mamans, j'ai voulu assurer mes arrières. L'instit'-directrice que je remplace a environ deux années de carrière derrière elle. Je l'appelle. Lui raconte mes mésaventures. Elle m'avoue que elle aussi a eu un souci de ce genre l'année dernière. Sauf que c'est allé bien plus loin. A court d'arguments pour calmer une classe très difficile, elle avait privé les enfants de piscine, avec l'aval du directeur. Les parents avaient appelé en masse pour se plaindre. Et le directeur était revenu sur ses positions, cessant soudain, sous la pression, de la soutenir. "Depuis ce jour", me dit-elle, "Je ne donne plus de punition collective". Je suis, aujourd'hui, très très bien placée pour la comprendre. Ma "punition collective", si je ne vous donne pas les détails, était sensiblement similaire à la sienne. J'ai, comme qui dirait, été prise à mon propre piège.
En ce mercredi matin, où j'écris cet article, j'y réfléchis encore. J'ai eu tort de donner une punition collective. Mais, en toute bonne foi, j'ignorais que c'était interdit. Je me suis sentie agressée par ces trois mères, même s'il faut admettre qu'elles y ont tout de même mis les formes. Si ce stage se passe globalement bien, j'avoue que c'est une classe difficile. Très bruyante. Qui n'écoute pas. Et ne travaille pas. Si j'ai été très sévère en première semaine, c'est parce que j'espérais ainsi les cadrer et favoriser une certaine atmosphère de travail. Sauf que cela n'a pas marché. Et que les (rares) élèves mignons, travailleurs, intéressés, s'en sont trouvés pénalisés.
Comme me l'a dit ma marraine T1, il y a pire que ce que j'ai fait. Je le sais. Même si on me dit qu'au fond, "ce n'est pas grave", j'ai du mal à passer le cap. Je m'en veux. Cependant, je me dis aussi que des conflits avec les parents, j'en aurai sans doute toute ma carrière. Si, à l'avenir (c'est promis, on ne m'y reprendra plus !), je ne donnerai AUCUNE punition collective, il est clair qu'il me faudra néanmoins apprendre à défendre mon bout de gras, à assumer mes choix pédagogiques et autres terrainsque les parents grapillent progressivement. J'y arriverai, peu à peu. Et je me dis qu'au fond, cet incident, s'il m'a perturbé, me permet également de mieux prendre conscience du rôle croissant des parents dans l'école, des limites de notre liberté.
J'ai encore un peu plus d'une semaine de stage dans cette école. Si, lorsque je "délire" un peu, j'imagine que toute cette histoire remontera aux oreilles de l'IUFM qui s'opposera à ma validation, si je me vois soudain traitée comme une pestiférée par l'équipe de l'école (ce dont je doute, car ils sont réellement très chaleureux, mais les bruits de couloir, ça va si vite...), je me dis aussi que, pour me préserver, je vais lâcher un peu de lest. Je t'avoue, mon cher Victor, qu'à toutes les récréations, je bosse, je fais mes photocopies ou je garde quelques individus perturbateurs dans la classe. Or, il s'avère que cela n'a pas payé. On me conseille d'"aller prendre le café avec les collègues, de penser à autre chose pendant les récréations, au lieu de bosser dans mon coin ou de garder des gamins". Ce n'est pas un mauvais conseil. Je me demande si je ne vais pas le mettre en application...
J'ai hésité à te parler de tout ça, mon Victor. Parce que je ne suis pas fière de moi. Tout le monde a le droit de faire des erreurs, Mirabelle... Et puis c'est comme ça qu'on apprend ! Et puis je me suis dit qu'il y a certains PE1 à qui je souhaite d'être PE2 un jour, et qui seraient peut être bien contents de profiter de mes mésaventures pour ne pas connaître les mêmes problèmes. Les erreurs des autres, ça sert aussi. Et puis je me dis que parler de mon métier, ce n'est pas seulement parler des sourires des gosses, du bonheur d'être appelée "maîtresse" et autres instants à croquer. C'est aussi avoir des comptes à rendre, se justifier, et des contraintes, comme n'importe quel boulot. On le sait avant d'avoir un pied dedans, bien sûr. Mais je t'assure que ça prend une toute autre dimension quand tu as trois mères qui t'assaillent de questions et te font sentir que tu es "une méchante maîtresse pas juste du tout". Là, tu te dis, ça y est, c'est ça aussi le boulot. Tu avales ta salive, tu prends ton courage à deux mains et une fois que tout ce petit monde est reparti, en te souhaitant "une bonne soirée", tu te mets à corriger les cahiers du jour et les fichiers de mathématiques.