Magazine Journal intime

Relooking Extrême.

Publié le 01 juin 2008 par Mélina Loupia
Relooking Extrême.Certains se promènent à travers la vie avec une épée de Damoclès pendue par l'imaginaire sur la tête et n'ont même pas le loisir d'appréhender le jour où elle les pourfendra, l'irrévérence de la mort décidant pour eux. Ceux-ci ont l'amour du risque. D'autres ont le sentiment de se balader en permanence avec un encombrant robinet en zinc sur la tignasse, au bout duquel l'angoissante goutte d'eau perle, gonfle puis s'étire sans jamais se détacher pour exploser et provoquer les dégâts qu'on connaît. Ceux-là ont la réputation d'être tête en l'air, mais il n'en est rien.Les apparences sont toujours trompeuses. En fait, ils ne font que surveiller la goutte afin de s'en parer alors qu'elle peut tomber à n'importe quel évènement. En principe, l'avalanche se déclenche suite à l'accumulation déstructurée de choses et d'autres, de faits ou d'occasions tout aussi hétérogènes qu'incompatibles. Depuis quelques temps, j'ai tendance à regarder en l'air. Et c'est hier soir que j'ai compris qu'à moins de partir en quête d'un parapluie aux baleines et à la toile robustes, j'étais sur le point de me noyer, engloutie par le déluge de la goutte. Mon imperméable jusqu'ici usé, râpé mais rapiécé ne tenait plus. Et lorsque je me suis réveillée trop tôt alors que couchée trop tard depuis des jours, j'ai vu la goutte. Perler. S'étirer. Gonfler. "Coucou, ne bouge pas, Arnaud m'a dit que tu étais encore en train de faire toutes tes choses en même temps, je passe juste voir si l'orage d'hier n'a pas fait de dégâts chez toi. -Salut, non, mais j'avoue que j'ai eu peur de l'orage pour la première fois de ma vie. Je me demandais quand et si ça allait s'arrêter tellement que le ciel était bouché et que la pluie tombait au même rythme serré. -La foudre est tombée par endroits et la rivière a bien grossi, elle est belle. -C'est marrant comme la rivière n'est belle que lorsqu'elle est tourmentée. -Alors, vous y allez, à la cousinade demain? -Oui, malgré le temps, elle a lieu, on sera à l'abri. -C'est quoi une cousinade mamie? -Coucou Arnaud! -Pendant que tu lui expliques, je nous fais un café. -Je veux pas te déranger ma puce, je sais que tu es débordée. -Maman, c'est l'heure du café, je viens de le décider." Elle est partie comme elle était venue. Elle n'a rien demandé. Elle savait. Elle a posé son coeur et son instinct sous le robinet et a repoussé la goutte jusque dans ses retranchements. Et j'ai respiré . Et j'ai fait ce que j'avais à faire comme je l'avais décidé. Ma course agitée contre le temps a empêché la goutte de montrer le bout de son nez un moment. C'est le téléphone qui excitée son envie d'évasion. "C'est moi, ça va? -Oui, zen et toi? -Bien, je peux monter prendre les comptes? -Je suis en plein dedans, j'ai juste un souci de mise en page, mais les résultats tombent pile. -Bon, écoute, alors je monte pas, tu les descendra ce soir. -Ok, à huit heures et demi? -Oui. -Allez, à ce soir." L'urgence n'a fait qu'accélérer le processus, compte tenu du refus obstiné de l'imprimante à s'exécuter comme la logique implacable de l'informatique m'assurait pourtant qu'il ne pouvait en être autrement, deux pages sinon rien. Perler. S'étirer. Gonfler. "Allo? -Mais tu le fais exprès de foutre ton portable sur répondeur? -Ah mais non, mais je sais pas comment le régler sur plus de deux sonneries et le temps que je détecte qu'il est vaguement dans la pièce... -Je croyais que tu voulais pas me parler. -Alors là, tu risques rien, si y a bien quelqu'un à qui j'ai besoin de parler, c'est toi. -Je peux passer ce soir? -Justement, on voudrait que tu nous fasses beaux pour demain. -Super, c'est ce que je voulais te demander. -Tu viens manger, puis je file à la réunion pendant que tu lui coupes les cheveux et quand je remonte, je prends sa place. -J'amène un petit moelleux. -Toi et tes moelleux... Je fais un fondant et des flans, et je rallonge mon poulet au curry. -Super, à tataleure. -Bisous." Le hasard n'est qu'un fantasme. Elle a raccroché comme elle avait appelé. Gaie et heureuse. Au moins deux fois plus qu'à l'habitude, ne serait-ce que pour stopper l'avalanche imminente. Et je me suis fait un café. Et j'ai terminé de faire ce que je faisais. L'imprimante avait cessé son caprice lorsque le calme m'a indiqué que le succès résidait dans le branchement du câble USB. Mais le temps avait fait son oeuvre et avait rongé une partie de l'après-midi que j'avais à l'origine consacré aux tâches bassement domestiques. Perler. S'étirer. Gonfler. "Maman, ça va? -Oui et toi? -J'ai un peu mal à l'oreille. -Je t'entends renifler depuis ce matin, je te dis de te moucher et tu préfères renifler. -Oui, mais quand je mouche, ça sort pas. -Alors tu pourquoi tu renifles? -Parce que j'ai la sensation d'avoir une goutte au bout du nez. -Ah non, hop, c'est un bisou que tu avais au bout du nez, il te chatouillait. -En fait, j'ai pas  si mal à l'oreille que ça maman, je voulais savoir si tu était bien. -Là, tout d'un coup, ça va bien mieux. -Je peux me faire griller du pain? -Tu peux. -Tu veux un café? -Je veux." On les appelle pas enfants tampons pour rien. Il a arrêté de renifler comme il avait commencé. Ses cheveux en bataille. Sa sollicitude sincère d'enfant avait pompé, aspiré la goutte. Et j'ai activé l'astiquage. J'ai lavé à toute vapeur, ai triomphé de la poussière, traqué la graisse, chassé le calcaire et maculé le linge. Le vent s'est enfin levé à bon escient pour m'aider. Deux ou trois fenêtres judicieusement ouvertes ont fait tournoyer l'air viscié et électrique de la maison. Quand j'ai enfin abattu deux piles de linge, j'ai mis à couvert le sac de voyage que j'avais déposé là le matin avant tout et surtout avant de l'oublier dans d'autres taches. Perler. S'étirer. Gonfler. "Maman, c'est le papier de la notice de comment faire la valise que tu cherches? -Ne me dis pas que tu t'en es servi pour faire ton découpage de ce matin? -Ah non, je me suis servi des feuilles que tu m'as données. -Et tu penses qu'il serait où ce papier de la notice? -Tu as le choix, soit dans ma main gauche, soit dans l'autre. Mais je t'aide, mes mains sont dans mon dos. -Tu n'as pas idée comme j'aime cette partie de cache-cache. -T'es contente que je l'ai pas perdue la notice maman? -Je suis contente tout court là." Le bonheur existe dans le coeur de ceux qui veulent le donner sans concession. Et il a filé dans le jardin comme le petit papillon blanc que j'ai vu s'envoler par la fenêtre au même moment. Ses joues rougies par le printemps fatigué de donner le frais. Ses neuf ans qui ne demandent qu'à grandir. Et j'ai fait sa valise, après avoir trouvé par miracle dans le premier placard que j'ai ouvert le sac de couchage qu'on avait acheté il y a trop longtemps et posé là avec la certitude qu'on ne s'en servirait jamais. J'ai même poussé la chance à faire ressortir un sac à dos qui avait emprisonné voici deux étés l'unique gourde assignée à résidence dans la famille qu'on se refile de frangin en frangin. "Coucou! -Déjà c'est toi? -Bé... Il est déjà sept heures, comme tu m'as dit que tu avais réunion... -Alors il va pas tarder. -Oui, il me suit. -Et bonsoir! -Purée je suis à la bourre, putain, j'ai pas arrêté et encore je suis à la bourre, et encore, j'ai pas descendu le vélo et la valise chez ma mère et encore j'ai pas fini de plier le linge et encore j'ai pas démoulé le fondant pour la réunion et encore j'ai pas..." Perler. S'étirer. Gonfler. "- T'as pas quoi? Posé ton cul sur une chaise? -Goûté mon petit moelleux? -On mange bientôt? -J'ai plus mal à l'oreille! -Maman m'a donné de la salade et des pommes de terre du jardin de mamie. -Tiens, papa vient de m'envoyer des photos des fleurs de maman après la pluie." Et on s'est tous mis à table affamés. On avait faim les uns des autres. On avait soif de se voir et s'entendre. On avait envie de dévorer le plaisir de se retrouver. "Maman, pourquoi tu lèves la tête? -Pour rien, finalement, je crois qu'il va faire beau demain." Je suis allée à la réunion. Ils ont pris en charge la remise aux normes sanitaires de la table et de la cuisine. Ils se sont occupés d'eux. Je me suis occupée des autres. Quand je suis remontée, la chaise, la paire de cisailles et le séchoir m'attendaient. "Penche la tête en avant le plus que tu peux, n'aies pas peur." Et j'ai fermé les yeux. Je me suis laissée bercer par le ballet de ses jambes autour des miennes. Une petite abeille qui butine la fleur sans rien laisser au hasard, même pas un grain de pollen ou de quoi que ce soit de trop lourd pour les copines. J'ai écouté attentivement le bruit des coupes franches et celui des plus étudiées de ses lames sur mes cheveux. Un vieil homme courbé sur sa faux qui prend à la terre ce qu'elle a voulu lui donner tant il l'avait respectée et la soulageait. Alors plus grande que moi, ses deux bras me couvaient. Le robinet a pris le large. La goutte n'est pas ressorti. Elle n'a pas perlé. Elle ne s'est pas étirée. Elle n'a pas gonflé. "Il faut que je te prenne en photo pour les montrer à mon patron. J'espère que ça va te plaire, c'est du relooking extrême. -J'en suis sûre. -Tu me le diras quand tu te seras vue dans le miroir. -Pas besoin, t'as pas idée de comment tu m'as entièrement relookée là. -En tous cas, ce soir, j'ai compris la coiffure en une seule coupe. -Moi aussi j'ai compris." J'ai surtout compris et enfin admis qu'il est des liens invisibles et magiques, mais pourtant évidents qui n'ont pas besoin d'être resserrés pour rester solides. Ces liens, ce sont ceux du sang. Les petites mains accrochées aux lames sont celles de ma soeur benjamine. Elle a eu un bac quelconque l'an dernier et a décidé d'apprendre à coiffer les gens pour leur faire du beau et du bien. Elle le fait depuis six mois. Le reste, entre elle et moi, ça le fait depuis presque vingt ans.

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