Je me baguenaude tranquillement dans le bouquet de sapins plantés en bordure de mon courtil lorsqu’un coup de vent détache soudain une branche morte qui, soucieuse de respecter à la lettre la loi de Newton, s’empresse de tomber lourdement sur mon épaule et d’égratigner mon crâne dégarni au passage. Après lui avoir vertement exprimé le fond de ma pensée, je me demande s’il en est ainsi des "idées reçues". Sont-elles d’autant mieux ancrées dans la tête qu’elles tombent de plus haut ? Si la réponse est oui, le fameux principe de précaution qui régit nos sociétés pusillanimes doit au moins provenir de l’espace lui-même. Ainsi certains refusent-ils les vaccins afin d’éviter les inconvénients pouvant résulter des adjuvants. Il leur apparaît plus prudent de se garder d’un danger hypothétique que d’un danger réel. Sans doute, comme Gribouille, se jetteront-ils dans la rivière lors de la prochaine averse afin d’éviter d’être mouillés. Mais chacun, après tout, a la cohérence qu’il peut. Le célèbre bisphénol A qui a tant défrayé la chronique est aujourd’hui interdit en France, du biberon à la boite de petits pois. Il aurait une mauvaise influence sur les spermatozoïdes. Dans un pays qui s’enorgueillit non seulement d’abriter les meilleurs amants du monde mais aussi de présenter une courbe des naissances presque aussi vigoureuse que celle d’un pays du tiers-monde, ce brave composé organique n’avait aucune chance de survie. Mais comme il présentait tout de même une certaine utilité, il a bien fallu le remplacer. Alors, faisant fi, cette fois, du principe de précaution, on utilise à présent n’importe quoi sans aucun recul ni aucune prudence. Mais chacun, après tout, a la cohérence qu’il peut. Il est d’autres idées reçues qui sont tellement bien incrustées dans les cerveaux qu’elles sont désormais classées dans la rubrique des évidences. Ainsi des centrales nucléaires. À puissance égale, l’énergie produite par une centrale nucléaire tue mille fois moins que celle produite par une centrale à charbon. Eh bien tant pis pour les victimes du charbon. Elles n’avaient qu’à ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ! On continue à crier haro sur le nucléaire. Dans le même domaine, il apparaît évident à tout le monde que les véhicules à moteur électrique sont beaucoup moins polluants que ceux à moteur diésel. C’est vrai là où ils circulent. Mais si l’on prend en compte l’ensemble de la filière, c’est exactement l’inverse qui se produit. La pire pollution provoquée par les moyens de transports vient des véhicules électriques approvisionnés à partir de centrales à charbon. Sans oublier la pollution des sols lors de l’extraction du cadmium utilisé pour les batteries et les exécrables conditions de vie des ouvriers. Mais tout cela se déroulant dans des contrées fort lointaines, l’âme sensible de l’écologiste occidental ne saurait s’en émouvoir. Quoi qu’il en soit et dans tous les cas, il vaut bien mieux pour le banlieusard qui ne peut pas faire autrement rouler dans sa cross-over à moteur diésel équipé du filtre adéquat : c’est la solution la moins polluante. Mais il affronterait alors une idée reçue tellement bien installée que son combat serait presque désespéré. Michel Onfray le sait bien, lui qui fait profession sinon même sacerdoce, d’éradiquer les idées reçues. Ainsi a-t-il récemment prétendu qu’une idée juste fut-elle de droite est, à ses yeux, plus juste qu’une idée fausse de gauche. Les ligues bienpensantes ont crié au scandale. Chacun peut pourtant constater que son raisonnement est cohérent et sa conclusion logique. Mais si l’époque où l’on débattait du sexe des anges est révolue, la nôtre, quant à elle, n’a toujours pas résolu le cas de la latéralité des idées. C’est pourquoi il conviendra de se protéger encore longtemps de la chute d’idées reçues. À moins, bien entendu, que n’apparaisse quelque principe de précaution encore inconnu ! Auquel cas le monde pourrait continuer dans la joie sa marche triomphante vers le futur de son avenir.
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