Dans la famille des empêcheurs de tourner en rond, je demande le zélé. Ami lecteur, tu ne penses pas qu'une personne faisant du zèle puisse être toxique pour le bien-être d'une entreprise ? Tu te dis qu'après tout quelqu'un qui cherche à dépasser ses objectifs est une ressource indispensable à son bon fonctionnement et à son efficacité. Pour ma part, j'ai toujours été extrêmement suspicieuse face à ceux qui accomplissent leurs tâches avec trop d'ardeur, voire même avec dévotion. Si on s'intéresse à l'étymologie du mot zèle, on s'aperçoit qu'il vient du grec zelos : " jalousie ". Avoue que ça cache quelque chose.
A quoi reconnait-on un collaborateur zélé, me demanderas-tu ? Tout simplement au fait qu'à bien le regarder, il n'y a que ce mot-là pour le qualifier. Ce n'est pas quelqu'un dont tu salueras l'intelligence, la prise d'initiatives, les bonnes idées. Il n'a pas un esprit d'équipe particulièrement développé, il n'est pas toujours disponible et, d'ailleurs, il arrive bien souvent qu'il ne t'aide pas plus que ça sur des projets où son aide te serait utile. Tout est dit : le zélé est avant tout un fayot et la première règle du fayotage c'est de servir un objectif personnel et pas un intérêt commun. Si le zélé ne retire aucun avantage de l'aide qu'il t'offrirait, il n'y a aucune raison qu'il le fasse. A l'inverse - et c'est là où le zélé s'avère être une véritable plaie - il n'hésitera pas à mener une action qui lui est profitable même si elle s'avère être nuisible pour l'ensemble de ses collègues. Et si tu trouves ça honteux, tu seras d'accord avec Voltaire, malin comme un singe, qui avait tôt fait de remarquer que c'était le zèle qui permettait de distinguer le fanatique du sage.
Alors oui, de tout temps et en toute situation, nous avons connu ou côtoyé des zélés dangereux : il y en a beaucoup parmi les contrôleurs de métro (ces incorruptibles qui ne veulent rien savoir de ton histoire de chien qui a mangé ton pass Navigo) et il y en avait beaucoup aussi dans les années 30 et 40, un peu partout en Europe, parmi les collabos (tu apprendras que je suis sujette au syndrome d'Anne Frank et que j'ai cette fâcheuse tendance à imaginer ce dont les personnes qui m'entourent seraient capables en temps de guerre). Les zélés présentent différents degrés de nuisance et, fort heureusement, ceux que j'ai côtoyés en entreprise étaient somme toute contrôlables. Mais la logique sous-jacente est la même et, ami lecteur, je ne sais pas pour toi, mais en ce qui me concerne je la trouve insupportable.
Déjà à l'école, le zélé avait tendance à me les briser. Ce n'était pas le premier de la classe mais c'était celui qui faisait tout pour se faire remarquer. Celui qui, aux cours élémentaires, avait appris par cœur la table de neuf alors qu'on en était restés à la table de trois, celui qui, au collège, avait choisi latin et grec parce que " c'est quand même bien utile de maîtriser les deux " (rassure-toi il n'en maîtrisera aucune et ne sera même pas capable de commander un mojito à Patmos, alors à quoi bon), celui qui, au bac français, était le seul à ne pas avoir fait l'impasse sur " L'Alchimie du verbe " de Rimbaud (il avait préféré s'épargner les romans d'apprentissage du XIXème, trop faciles) car, clamera-t-il devant tous ses camarades décontenancés, cela lui avait procuré de vrais moments de jouissance (ce qui ne l'aura pas aidé à dépasser le 10,5 quand le prof l'aura interrogé sur une fable de La Fontaine). Bref, ami lecteur, tu l'auras compris : le zélé a besoin de se faire bien voir et pas nécessairement de toi (car tu n'as pour lui que peu d'intérêt)(et de toute façon, tu n'es pas dupe) mais de ce qui représente pour lui l'autorité.
Tant que cela ne me nuit pas, pourquoi m'en prendrais-je au zélé, me diras-tu, oui POURQUOI ? Eh bien parce que je trouve ça louche cette envie de trop bien faire. Je la trouve exagérée, trop insistante pour être honnête. Je la trouve déplacée même et c'est mathématiques : tout ce qui est déplacé crée nécessairement un déséquilibre.
Et puis il y a autre chose : dans la situation de faiblesse (n'ayons pas peur des mots) dans laquelle je me trouve aujourd'hui, des zélés se manifestent à tour de bras, gorgés de fausses bonnes intentions. D'un seul coup - et c'est là que le sens étymologique du mot zélé revêt une importance capitale - ils pensent avoir un véritable ascendant sur moi. Ils y vont alors de leurs bons conseils et de leurs recommandations auprès de leurs meilleurs-amis-haut-placés. Les zélés sont ceux qui font le plus de bruit en bas de la falaise au sommet de laquelle j'ai décidé de faire une pause méditative, indécise mais sereine (tu te demandes ce que je peux bien faire en haut d'une falaise ? C'est ici que ça se passe). Mais sache-le : s'ils font tout ce raffut, ce n'est pas pour m'aider mais pour se faire entendre, pour montrer qui ils sont et l'étendue de leur pouvoir. Je t'entends d'ici maugréer que je suis injuste et prétentieuse et que ces personnes veulent tout simplement mon bien : peut-être. Je peux très bien me tromper. Donnons-nous rendez-vous dans deux mois et je te dirai combien de zélés me tournent encore autour pour m'aider.
Cela étant, le zélé reste malgré tout un personnage attendrissant car, une fois que tu l'as démasqué, il est très facile de s'en moquer. Là, par exemple, à celui qui serait capable de m'envoyer des messages par signaux de fumée alors que je ne lui ai rien demandé, je n'hésiterai pas à lui balancer un bon seau d'eau glacé, histoire de lui rafraîchir les idées.