Compatissez, compatissez, il en restera bien quelque chose

Publié le 21 avril 2015 par Rolandbosquet

      Repas de fête, hier, chez notre amie Marthe Dumas du mas du Goth pour honorer comme il se doit le premier jour de sa quatre-vingt huitième année. Elle répugne en effet à compter les anniversaires passés pour ne se consacrer qu’au présent. « À mon âge, aime-t-elle à dire, il faut prendre le temps de caresser le temps ». Alors que nous arrivons au fromage, elle nous avoue avec un sourire goguenard avoir invité le Président de la République à se joindre à nous. « Vu qu’il s’est spécialisé dans les commémorations, je me suis dit… ! Je n’ai pas reçu de réponse ». Après un gros éclat de rire agrémenté de quelques plaisanteries, nous nous amusons à répertorier les cérémonies officielles qui ont récemment occasionné des visites de chefs d’États étrangers. Le débarquement allié sur les plages de Normandie et le massacre du village d’Oradour sur Glane en juin 1944, les 70 ans de la Libération sous la pluie à l’île de Sein alors qu’au même moment la France n’a plus de gouvernement et le centenaire du début de la Grande Boucherie de 1914 dont on se demande s’il n’eut pas été plus judicieux d’attendre quatre années de plus pour en célébrer plutôt le cessez-le-feu. Et qui d’ajouter l’accueil "en grandes pompes" d’otages enfin libérés sur le tarmac même des aéroports alors que publiquement l’État n’y serait pour rien et qu’ils préfèreraient sans aucun doute embrasser sans attendre leur famille dans une plus chaleureuse intimité. Les hommages aux soldats de l’armée française officiellement morts au champ d’honneur sur les multiples fronts ouverts un peu partout. Les condoléances aux victimes des inondations dont les dégâts sont amplifiés par le réchauffement climatique et l’incurie de Services Publics impuissants. Les interminables divagations entre le cul des vaches et le saucisson à l’ail lors des Salons de l’Agriculture pour monter avec le plus grand apparat l’attachement des gouvernants aux productions du terroir français alors même que l’isolement de plus en plus douloureux des ruraux est le cadet de leurs soucis. Les déplacements médiatiques dans les entreprises méritantes pour avoir pris les risques de l’innovation et réussi sur le marché international dans l’espoir que leur hardiesse rejaillisse sur ceux-là mêmes qui en sont incapables. Et, à l’occasion, serrer avec componction la main d’un ouvrier bien propret représentant malgré lui une classe sociale aujourd’hui délaissée. Sans oublier la tendre compassion d’Angéla Merkel posant sa tête sur l’épaule de notre Président lors de la soi-disant marche avec le peuple dans les rues de Paris le 11 janvier dernier. Les congratulations émues à l’occasion du "crash" dans les Alpes de l’A320 de la Compagnie Germanwings alors même qu’on n’y déplore aucune victime française. Et la participation à Tunis à une marche populaire de protestation contre les terroristes islamistes achevée par un grand sourire à l’adresse du Président Tunisien alors que, pendant ce temps, la moitié des électeurs boudent les urnes et que l’autre moitié boute ses soutiens hors de leurs privilèges. En un mot, de cimetières en estrades, quand nos gouvernants trouvent-ils le temps de gouverner et que signifient toutes ces gesticulations ? Est-ce seulement de la fatuité ou est-ce la volonté de masquer une incapacité à peser réellement sur le cours du présent ? Comme si, par exemple, ne pouvant plus influer sur la courbe du chômage, il ne leur restait plus qu’à pleurer avec les chômeurs ! Comme si, ne sachant plus proposer l’avenir, il ne leur restait plus qu’à célébrer le passé ! Et pendant ce temps-là, le monde marche à grands pas sur les chemins de son futur.

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