Image Aleksandr Kosopalov
Alors qu’elle venait enfin de s’endormir, Jeannette sent qu’on la propulse dans une surface molletonnée. Elle grogne, ouvre un œil, et constate : l’autobus s’est arrêté devant le terminal 2 de l’aéroport de Beauvais. Un coup de chance : c’était bien sa destination.Elle s’extirpe de son siège avec quelque difficulté. « Ce n’est pas grand confort, cette ferraille. J’espère que les avions sont mieux équipés », bougonne-t-elle intérieurement en faisant signe au petit couple d’Italiens qui la talonne de descendre du bus avant elle. Même en voyage, le raffinement, toujours.Rares sont les Parisiens qui ne connaissent pas l’aéroport de Beauvais. Qui ne s’est jamais laissé tenter par un week-end d’alcoolisation prolongée dans la belle ville de Prague ? Qui n’a pas hésité avant de reconnaître que non, décidément, l’aller-retour pour Rome à 960€ proposé par Air France n’entrait pas – même en forçant beaucoup – dans le budget ? Qui n’a jamais songé à acheter en dernière minute un billet pour Budapest et disparaître, purement et simplement, de ce monde de brutes ?Jeannette, elle, connaît aussi, et la vue de cet immense hangar à poules l’emplit toujours d’une vague angoisse. Elle sait qu’en plus de négocier pour faire passer son bagage, elle va devoir entamer des négociations complexes avec Mme Schmoldu au téléphone. Du résultat dépend le sauvetage de sa semaine.Mme Schmoldu est le proviseur du lycée Joris-Karl Huysmans, qui emploie Jeannette depuis trois ans. Elle a pour principe, et c’est tout à son honneur, de vérifier que les autres travaillent autant qu’elle. Il est donc peu envisageable qu’elle condescende à donner trois jours de congé à Jeannette sous le prétexte curieux que celle-ci a décidé de participer, avec sa chorale ukrainienne, à un concours de chant sacré orthodoxe au fin fond de la Pologne. Il va donc falloir inventer autre chose.
La suite au prochain numéro.