Poésie, conte de fées et dauphins d'avant-garde.

Publié le 20 décembre 2010 par Kevinades

Bonjour très chers lecteurs !

Aujourd'hui, un bien beau conte de Noël pour récompenser les trois ou quatre courageux qui ont continué à venir quotidiennement sur ce blog malgré l'absence flagrante de publication digne de ce nom. J'espère que je vais rendre justice à cette kevinade parce qu'entre nous, c'est une de mes préférées...

Il était une fois, dans une bourgade fort lointaine que le secret professionnel m'interdit de nommer, un jeune garçon : appelons-le Kevin.

Kevin était un garçon chétif voire rachitique, mais néanmoins sympathique, quoiqu'un peu inhibé... La faute à un quotidien rendu particulièrement difficile par de multiples facteurs que le secret professionnel m'interdit d'énumérer.

Ce Kevin, âgé d'environ neuf ans, se rendait bien évidemment à l'école tous les jours. Il y retrouvait avec plaisir ses petits camarades, mais pas seulement. Car en ces temps sombres, le seigneur local, que tous devaient appeler Maître, régnait sans partage sur la classe de notre héros. Ce despote, vile et sanguinaire, n'avait aucun égal en matière de cruauté et tous le craignaient.

Jour après jour, notre bon Kevin œuvrait sans relâche au sein de sa classe afin de parfaire ses connaissances et surtout pour ne pas provoquer le courroux du maître. Et jour après jour, Kevin échouait (oui, je sais, mais les contes, c'est cruel !). Au mépris de la décence, sans aucun égard pour les sanctions et défiant toutes les statistiques : Kevin enchaînait les contre-performances scolaires, passant son temps à se vautrer allègrement.

Un beau jour ou peut-être une nuit, une poésie fut donnée à apprendre à Kevin ainsi qu'à ses condisciples. Fidèle à sa réputation, le démoniaque enseignant avait choisi un texte d'une grande difficulté : subtil mélange de français archaïque et de formes plus expérimentales, délicate fusion d'un classicisme exacerbé allié aux excentricités d'un modernisme assumé. Bref, un truc tordu fait pour emmerder ses élèves. Mais jugez-en par vous-même :

L'île des rêves

Il a mis le veston du père,

Les chaussures de la maman

Et le pantalon du grand frère

Il nage dans ses vêtements.

Il nage, il nage à perdre haleine.

Il croise des poissons volants,

Des thons, des dauphins, des baleines...

Que de monde, dans l'océan!

Écume blanche et coquillages,

Il nage depuis si longtemps

Qu'il aborde enfin au rivage

Du pays des rêves d'enfants.

Jacques CHARPENTREAU

Mouais... Bon, elle n'était peut-être pas si difficile que ça après tout. Mais honnêtement, vous seriez surpris du nombre de mots de ce petit poème que des gamins de dix ans ne connaissent pas. C'est d'ailleurs tout ce qui fait le piquant de cette kevinade.

Kevin n'avait donc pas le choix, il lui faudrait, à lui et à ses camarades, en découdre avec ce texte. En découdre, ça voulait dire pour ce monstre d'instituteur non seulement l'apprendre mais aussi l'illustrer ! Carrément !

En fin stratège, Kevin établit une hiérarchie des tâches à effectuer... En effet, après avoir pesé le pour et le contre, il constata que l'ampleur de ce labeur était telle qu'il ne pourrait tout faire. Il se concentra donc avant tout sur le dessin, qu'il fit fort beau. Chaque élément mentionné dans la poésie était représenté avec force détails, colorié avec une précision chirurgicale. Kevin était sûr de lui, son ouvrage ne laisserait pas insensible son despote de maître. Cette fois, il avait assuré grave !

Vint alors le jour J, l'heure H et l'instant T : appelé par le tyran, Kevin prit son cahier et s'approcha du bureau avec conviction. La magnificence de son travail allait péter à la gueule de son maître, car il était à l'apogée de son art !

Quelques instants de silence... Kevin attendit nerveusement que sa seigneurie daigna accorder un coup d'œil à son cahier. Mais, à défaut de béatitude admirative, il ne décela qu'une perplexité grandissante sur le visage du professeur. Quelque chose clochait, son œuvre ne semblait pas perçue à sa juste valeur. Sa représentation osée pour ne pas dire couillue des dauphins avait-elle été trop avant-gardiste ? Sa recherche de la perfection picturale était-elle allée trop loin ? Avait-il commis un impair esthétique ? Il était certain que non, mais pourtant le visage de son enseignant ne laissait plus de place au doute : quelque chose avait merdé...

Mais voyons maître, regarde-bien, ce sont les thons !