Ralentir: chef-d'oeuvre

Publié le 28 avril 2015 par Jlk

 

RANSMAYR Christoph. Atlas d’un homme inquiet. Traduit de l’allemand par Bernard Kreiss. Albin Michel, 458p.

 

Au bout du monde

-  Que les histoires se racontent.

-  Sur un bateau à destination de Rapa Nui, l'île de Pâques.

-  Navigationmouvementée. Le Pacifique pas du tout calme.

-  Tout de suite l’univers physique est très présent.

-  Un homme « effroyablement maigre » parle au Voyageur.

-  Evoque le peuple de Rapa Nui, qui a peuplé les îles de milliers de statues de pierre.

-  Leshabitants étaient sûrs d’être seuls au monde et ne se rappellent pas leurorigine.

-  Parle un mélange d’anglais, d’espagnol et d’une langue inconnue. L’île est assimilée, à sa découverte, au séjour d’un dieu.

-  Lequel, Tout Puissant, se nomme Maké-Maké…

-  Son père est anglais et sa mère Rapa Nui.

-  Manger lui est très pénible.

-  Les statues s’appellent moaïs.

-  Des figures tutélaires d’un culte oublié, qui sont devenues symboles de puissance.

-  L’homme très maigre estime que la faim a été le destin de ce peuple.

-  Dont les habitants ont épuisé les richesses naturelles et ont fini par s’entre-dévorer. Avant d’être exploités par les Péruviens dans des mines de guano.

-  La quête de la faim est assimilée, dit-il, à une quête du corps astral. 

-  Le Voyageur se concentre ensuite sur la présence des sternes fuligineuses, dont l’homme très maigre dit que ce sont des oiseaux sacrés.

-  Ils portent des noms étonnants : le puffin de la nativité, le fou masqué ou le pétrel de castro.

-  La présence des oiseaux sera récurrente dans ce livre.

-  Le Voyageur-poète y apparaît comme un témoin sensible. « J’étais là, telle chose m’advint ».

-  Mélange de récit de voyage et d’évocation poétique mais sans fioritures.

-  Chant de territoire. 

-  Le Voyageur se retrouve sur la muraille de Chine enneigée.

-  Où il avise la silhouette d’un type s’approchant.

-  Un Mr Fox anglais de Swansea, ornithologue, qui a vécu avec Hong Kong avec sa femme chinoise et répertorie des chants de territoire des merles.

-  Classe les chants en fonction des sections de la muraille, chaque territoire ayant samodulation.

-  Le chant d’une grive marque l’au revoir des deux hommes. 

-  Une atmosphère étrange et belle se dégage de cette rencontre. La merveille est partout, très ordinaire en somme et prodigue en histoires. 

-  Herzfeld

-  Chaque récit commence par « Je vis »…

-  « Je vis une tombe ouverte à l’ombre d’un araucaria géant »…

-  Cettefois on est dans l’état fédéral brésilien de Minas Gerais.

-  On enterre le Senhor Herzfeld.

-  Dont le Voyageur a fait la connaissance deux jours plus tôt.

-  Le fils d’un fabricant d’aiguilles à coudre du Brandebourg, exilé à la montée du nazisme.

-  Herzfeld a commencé à lui raconter sa vie.

-  Puis est mort la nuit suivante.

-  L’évocation de la mise en bière du Senhor Herzfeld, et son enterrement, forment le reste de l’histoire.

-  Cueilleurs d’étoiles 

-  Le récit commence par la chute d’un serveur et de son plateau chargé de bouteilles sur une terrasse  jouxtant un café des hauts de San Diego.

-  Le serveur se retrouve par terre alors que tous alentour scrutent le ciel.

-  Ila buté sur le câble d’alimentation d’un télescope électronique.

-  Tous scrutent la Comète. 

-  Dont le passage coïncide, ce soir-là, avec une éclipse de lune.

-  Et le serveur, aidé de quelques clients, ramasse les éclats de verre qui sont comme des débris d’étoiles.

-  Ce pourrait être kitsch, mais non.

-  

-  Le pont céleste.

-  On voit des cônes de pierre noire sur lesquels déferlent des dunes.

-  Le Voyageur se trouve quelque part au Maroc, dans un lieu dominé par les tumulus mortuaires d’une civilisation disparue.

-  Là encore, le lien entre un lieu fortement chargé, et le passage des humains, est exprimé avec un mélange de précision et de poésie très singulier.

-  Mort à Séville.

-  Le dimanche des Rameaux, dans les arènes de Séville, se déroule un dernier combat entre un cavalier porteur de lance et un taureau. 

-  La suite des figures est marquée par l’hésitation du taureau et  la blessure du cheval, puis du public jaillit la demande de  grâce, d’une voix unique.

-  L’affrontement est évoqué avec une sorte de solennité, sans un trait de jugement de la part duVoyageur.

-  C’est très plastique et assez terrifiant.

-  Et cela finit comme ça doit finir.

-  Sans que rien n’en soit dit.

-  Fantômes. 

-  On passe ensuite en Islande, où le Voyageur croit voir des fantômes.

-  Se trouve là en compagnie d’un photographe, familier des légendes islandaises,nourries par les proscrits relégués dans cet arrière-pays.

-  Lui raconte celle, saisissante, du bandit à qui le bourreau a coupé une jambe pour l’empêcher de se sauver, et qui a appris a courir en faisant « la roue ». Une roue humaine qui terrifie les passants quand elle leur fonce dessus…

-  Où il est question de la peur du noir et des « diables de poussière ».

-  

-  Extinction d’une ville.

-  Le Voyageur se retrouve au sud de Sparte. 

-  Ila été jeté de sa moto par il ne sait quoi.

-  Puis remarque, dans la nuit, que les lumières de la ville de Kalamata sont éteintes.

-  Ensuite il rejoint un café en terrasse où il découvre, à la télé, qu’un séisme vient d’avoir lieu dans la région.

-  Quia provoqué se chute et l’extinction de la ville.

-  Cela encore raconté sans le moindre pathos. J’étais là, telle chose m’advint. 

-  Maisrien non plus de froidement objectif là-dedans.

       À la lisière des terres sauvages.

-  Dansun asile psy autrichien, une jeune femme s’apprête à faire du feu avec du papier et des copeaux invisibles.

-  On voit la scène, très développée ensuite.

-  Sous le regard d’une gardienne dans une cage de verre.

-  La jeune femme entend une voix qui lui dit : « Tu ne doit pas tetuer »…

-  

-  Tentative d’envol.

-  Au sud de la Nouvelle Zélande,cen terre maorie, le Voyageur observe un jeunealbatros royal en train d’essayer de s’envoler.

-  L’occasiond’une longue et épique digression sur la vie des albatros, telle que la luiévoque un ancien chauffeur d’autocar devenu ornithologue après la mortaccidentelle de sa femme. 

-  Formidablerécit ponctué de nouvelles diverses en provenance du monde des humains.

-  Le Paon.

-  À New Delhi, son chauffeur de taxi lui évoque l’imminente pendaison du meurtrier d’Indira Gandhi.

-  Une certaine psychose règne, liée àl’attentat qui a provoqué le massacre de milliers de sikhs.

-  Atmosphère de pogrom.

-  Le Voyageur veut se rendre au Rajasthan et à Jaïpur.

-  « Et c’est alors que je vis le paon ».

-  Une apparition qui rappelle celle du paon de Fellini, dans Amarcord

-   L’attentat.

-  LeVoyageur se retrouve à Katmandou, dont les frondaisons des arbres sur le boulevard central, sont occupées par des milliers de renards volants.

-  Plusieurs membres de la famille viennent d’être tués, et le nouveau roi se trouve probablement dans la limousine d’un convoi.

-  Au moment de l’attentat auquel assiste le Voyageur, une nuée de renards volants obscurcit le ciel. 

-  Où le Voyageur croit voir un écho significatif aux événements en cours…

-  Attaque aérienne.

-  On se trouve maintenant sur les hautes terres boliviennes.

-  Où le Voyageur chemine avec des amis, un biologiste bavarois et sa compagne italienne.

-  Quand surgissent des chasseurs qui volent en rase-motte au-dessus d’eux, la jeune femme leur lance en espagnol : No pasaran.

-  Il faut préciser qu’un nouveau dictateur s’est installé en Bolivie. 

-  Mais le pilote a vu le geste de défi de la jeune femme et fait demi-tour et canarde le trio.

-  Se non è vero… io ci credo purtoppo.

-  Plage sauvage.

-  Un vieux type au crâne rasé, sur une plage brésilienne, semble rendre un culte privé à une femme dont il tient la photographie près de lui.

-  Et soudain son parasol s’envole.

-  Le Voyageur va pour l’aider, mais un jeune homme sort de la forêt et secourt le vieux.

-  Sur quoi le Voyageur lance « Amen ! Amen ! » à l’océan.

-  Toutcela toujours étrange et vibrant de présence.

-  

-  Homme au bord de larivière

-  Untype repose en maillot de bain au bord de la Traun, rivière de haute-Autriche.

-  Quelquesenfants veillent sur son demi-sommeil, claquant des mains pour tuer les taonsqui lui tournent autour.

-  Les taons morts sont recueillis dans des sachets de feuilles.

-  Lorsque le type se réveille, il compte les taons et distribue des piécettes à sesgardiens du sommeil.

-  Etrange et belle scène d’été.

      

-  Le souverain des héros.

-  Au sommet de l’île d’Ios, dans les Cyclades, le Voyageur découvre les stèles blanches du tombeau d’Homère (92-97) et médite à propos de ce monument au « plus grand poète de l’humanité ».

-  Il y voit un monument « à la mémoire d’un chœur de conteurs disparus »,tout en évoquant merveilleusement ce lieu que je me rappelle comme de ce jour-là après la baignade… 

-  Un chemin de croix.

-  Sur la route de Santa Fe, à bord d’une Cadillac bordeaux qu’il a louée, le Voyageur croise une procession entourant un porteur de croix, dont les pèlerins le chassent bientôt à coups de pierre.

-  Peu après il rencontre un deputy sheriff qui lui explique que ces penitentes procèdent parfois à de véritables crucifixions, parfois fatales au crucifié volontaire,mais absolument illégales… 

-  D’outre-tombe.

-  À Mexico, le Voyageur observe une petite accordéoniste jouant sur le trottoirdans un entourage de squelettes et de têtes de mort et de cercueils en chocolatmarquant la fête du Jozr des Morts.

-  Le voyageur se rappelle alors une jeune Indienne sur une fresque, visiblementdestinée à un sacrifice rituel à l’ancienne cruelle façon. (p.104)

-  Chacunde ces récits se constitue en unité, cristallisé par le regard du Voyageur etplus encore par son art de l’évocation, à la fois réaliste et magique. 

-  On pense à Werner Herzog, en moins morbide, ou à Sebald, en plus profond. 

 

-     Déplacement de sépultures

-  Sur l’Île de Robinson Crusoë, quatre mois après un tsunami.

-  Un homme s’affaire à mettre de l’ordre dans les tombes dévastées par l’eau.

-  Le Voyageur se trouve là sur les traces d’Alexandre Selkirk, le boucanier dont s’est inspiré Daniel Defoe. 

-  Unrécit qui suggère physiquement la mêlée des vivants et des morts.

-  L’alerte donnée par une petite fille a permis de limiter le nombre de morts en ces lieux.

-    Prise accidentelle

-  Suit le récit du sauvetage, par un pêcheur de homards furibond, du bateau à bord duquel le Voyageur se trouvait.

-  Le pêcheur maudit le ciel à cause de sa pêche calamiteuse : Un seul homard dans 59 casiers. 

-  Mais en arrivant au port, de rage, il remet le homard unique à l’eau…

-  Dans les profondeurs 

-  Avec d’autres whale watchers, le Voyageur observe une baleine « timide » qui a l’air de rêver au-dessous de lui, son aile reposant sur son baleineau…

-  Ensuiteil éprouve une vraie terreur lorsque la baleine s’approche de lui. On pense àMoby Dick, au fil d’une évocation de ces immensités marines…

-  

-  La reine de la jungle 

-  Il voit un veau mort dans une clairière d’herbe entourée de jungle.

-  La chose se passe dans l’Etat fédéral brésilien de Sao Paulo.

-   Le proprio est un Allemand émigré qui a importé des vaches du Simmental.

-   La forêt vierge perçu comme une entité vivante que l’Allemand a combattu pendant des années.

-   Récit de ses tribulations.

-   Et soudaine apparition d’un anaconda de sept ou huit mètres traversant lentement la route.

-   Telle étant la reine de la jungle.

-   Dont un train routier lui fonçant dessus aura probablement brisé les vertèbres, quoique le serpent continue d’avancer… 

-  La transmission

-   Histoire du batelier Sang, sur le Mékong, dont le fils conduit depuis trois jours le bateau sur lequel se trouve le Voyageur.

-   Quand il y a un danger, son père lui pose la main sur l’épaule, sans un conseil de plus.

-   Le fils connaît chaque remous du fleuve par son nom ancien.

-   L’histoire de Sang recoupe celle des bombardements sur le Laos, dont l’intensité à dépassé ceux de l’Europe à la fin de la guerre.

     

-  L’Adieu

-   Sur un banc de la place du marché d’un bourg autrichien, un vieil homme, prof retraité et veuf, reste là avec une amie et fait parfois semblant de dormir.

-   Cette fois pourtant,il peine à se réveiller, jusqu’au moment où l’on constate qu’il ne fait plus semblant du tout.

-   À la morgue, une larme versée par le Voyageur nous fait comprendre qu’il vient de perdre son père. 

      

-  Dans l’espace cosmique

-   Le Voyageur se retrouve couché dans un canot à fond plat, conduit par un Maori dans une sorte de labyrinthe à ciel ouvert.

-   Puis le canot s’échoue sur un matelas spongieux formé d’insectes morts. 

-   On retrouve là les sensations à la fois physiques et et quasi métaphysiques évoquées par Coloane ou Sepulveda au contact de la nature sauvage.

-  Drive au Pôle Nord

-   Récit d’une tout autre tonalité, dont un joueur de golf de l’Illinois est le sujet.

-   Natif de Riga, il a émigré aux States après la déportation de son père par les Soviétiques.

-   Débarqué au pôle nord à bord d’un brise-glace atomique, il va tirer dix coups sous le regard interdit du Voyageur, dix balles de golf dans la neige, à proximité du drapeau russe…  

-  Retour au bercail

-   Le long d’une rivière canadienne, en Ontario, le Voyageur assiste à la remontée problématique des saumons qui vont se heurter à l’obstacle d’une cascade asséchée.

-   Désignant la« saloperie da cascade », un pêcheur n’en fait pas moins la cueillette de quelques saumons survivants… 

-  Courants contraires

-   Au Cambodge, le Voyageur assiste au feu d’artifice sur le Mékong, à l’occasion de la fête de l’eau à Phnom Penh, avant d’évoquer les effets de la mousson sur les crues des cours d’eau et des lacs. 

-   Cette évocation recoupe celle des massacres imputables aux Khmers rouges.

-   Très remarquable récit là encore.

-  Le travail des anges

-  Le Voyageur se retrouve à Trebic, près de l’église Saint Martin et non loin du cimetière juif dont s’occupe le vieux Pavlik, ancien instituteur non juif.

-   Il est là comme un gardien de mémoire, car il est question de désaffecter ce cimetière où reposentplus de 11.000 Juifs.

-   Il est visiblement marqué par la réflexion selon laquelle les anges du Tout Puissant ont regardé passer les trains de déportés vers les camps d’extermination sans broncher.

-  Dans la forêt de colonnes

-   Devant la citerne géante de Yerebatan, en la basilique souterraine de Justinien, au milieu de la forêt des colonnes, le Voyageur observe le curieux manège d’un visiteur qui s’immerge après avoir jeté une pièce dans l’eau, qu’il entreprend ensuite deretourner.

-   Scène étrange en ce lieu, comme beaucoup d’autres scènes de ce livre en d’autres lieux… 

-  La beauté des  ténèbres

-   Le Voyageur se décrit lui-même en train de scruter, avec ses instruments d’astronomie, la galaxiespirale de la Chevelure de Bérénice, qui a mis quelque 44 millions d’annéespour arriver du fond de l’espace à cet observatoire pseudo de Haute-Autriche.

-   La séquence est assezvertigineuse, finalement traversée par le cri d’une chouette hulotte rappelant  que le ciel communique avec la terre…

-  Tombé du ciel nocturne

-   À Jaipur cette fois,du toit en terrasse de l’hôtel dit Le Palais des Vents, le Voyageur assiste àl’envol de milliers de cerfs-volants à l’occasion de la fin de l’hiver.

-   Le récit de la chute d’une roussette, blessée par l’armature aiguisée d’un cerf-volant, corse le récit de manière significative, comme l’épisode des renards volants…

-  Le pianiste

-   Il y a du conte très plastique, à la japonaise, dans cet épisode faisant intervenir un très petit pianiste, assis comme un enfant à un grand piano, tandis que l’air extérieur vibre au chant des cigales.

-   Le reste se ressent plus qu’il ne se décrit, comme souvent au fil de ces pages subtiles, à la fois réalistes et irréelles. 

-    

-  La chance et l’océan calme

-   Le Voyageur, dans un quartier populaire de Valparaiso, observe un type qui lui semble un vendeur de billets de loteries au vu du collier de tickets qu’il porte autour du cou. 

-   Or ces billets ne sont pas à vendre mais représentent la collection des billets non gagnants rassemblés par le type en question.

-   Tout cela sur fond de réalité chilienne non détaillée au demeurant…

-  Les règles du paradis

-   Suit le plus long récit du livre, de presque vingt pages, évoquant la saga fameuse des révoltés du Bounty, alors que le Voyageur se trouve sur l’île perdue de Pitcairn où les mutins ont fini par débarquer et crever après moult tribulations.

-   L’on en apprend plus sur l’aventure de Fletcher Christian et de ceux qui l’ont assisté, puis le Voyageur interroge certains des descendants des forbans et se balade le long des falaises à-pic del’île.

-     Il y a là-dedans unmélange de souffle épique et de sauvagerie où les fantasmes paradisiaques  à la Rousseau en prennent un rude coup. 

-     Tout cela très fort, toujours inattendu et intéressant, d’une expression limpide et comme nimbée d’étrangeté ou de mystère. 

L'on est ici à mi-parcours de ce livre sans pareil.

(À suivre)