En octobre 1989 paraissaient les chroniques journalistiques de Marcel Aymé. Où l’indépendance d’esprit de cet écrivain célèbre, et largement méconnu, fait florès…
Plus de trente ans après sa mort, on redécouvre l'œuvre deMarcel Aymé (1902-1967), récemment entré dans La Pléiade, mais toujours considéré, par beaucoup, comme un aimable conteur pour enfants, dont les titres de gloire se borneraient à quelques romans popularisés par le cinéma, tels La jument verte ou Le chemin des écoliers.
Reste donc à prendre la vraie mesure de ce grand écrivain non aligné, dont la pensée droite et généreuse a passé pour suspecte. Or, lisez plutôt Du côté de Marianne pour vous convaincre de la foncière honnêteté intellectuelle et des qualités de cœur de ce sage sceptique.
La publication de chroniques journalistiques en volume est toujours un test. De fait, reprendre des écrits liés à une certaine actualité risque d'en accuser la part circonstancielle, sinon anecdotique. Du moins certains auteurs font-ils exception, et Marcel Aymé est assurément de ceux-là.
Comme nous l'apprend Michel Lecureur,son commentateur le plus pertinent, c'est grâce à Emmanuel Berl , qui s'était délecté à la lecture de La jument verte,que Marcel Aymé commença de collaborer à l'hebdomadaire Marianne, lancé en 1932 par les Gallimard pour tenter d'égaler lescsuccès de Gringoire ou de Candide.
Terrien d'origine (un peu comme Ramuz), il se méfia toujoursdes engouements idéologiques et des pouvoirs établis, au point de ferraillertous azimuts: contre les pontes de la justice française, contre les jobards duterrorisme intellectuel, contre Hitler et contre Staline.
Lorsqu'un président de la République attitré lui offrit la rosette d'honneur, Marcel Aymé proposa à l'éminence en question de «se la carrer dans le train». Tel fut le style du bonhomme...
Attention, péril...
Mais l'important est tout ailleurs. L'important, c'est ce que dit Marcel Aymé. En 1933, par exemple. Sous le couvert d'un frotteur de parquets qui fréquente tous les milieux, le voici qui fait s'exprimer la France bourgeoise, aristocratique, puis plébéienne. Or à l'entendre, seules les filles des «maisons» sentent venir le péril hitlérien. Bon.
De la même façon, il règle leur compte, dans Vive la race!, aux foldingues du racisme aryen imbécile, bien avant que ne s'expriment les messieurs Sartre et Aragon...
Marcel Aymé, messieurs les intellectuels «concernés», souffrait de voir de jeunes Français crever famine et pointer au chômage, commel'insupportait la justice des salopards blanchissant les parents tortionnaireset chargeant une Violette Nozières.
Ici, nous le voyons poser son diagnostic, sans concession. Ala même époque, vous ne disiez mot...
Au demeurant, Marcel Aymé ne jouait pas les incendiaires. Les yeux ouverts, mais à la fois mi-clos, il distillait tranquillement sa vérité de quidam. Sage entre tous, il savait que l'Etat n'est qu'une piètre défense quand le citoyen se bat contre cela même que les bureaux ont sécrété.
A l'image d'un Alexandre Vialatte, il prenait toujours parti pour l'individu, contre l'institution. A l'époque de la crise, il avait observé les pieds de la France, fort endoloris. Plus tard, il eut le souci de subordonner son sens de la cocasserie et de l'impertinence à des vues résolument optimistes.
Bien entendu, Marcel Aymé ne croyait que modérément à la perfectibilité humaine. Ses chroniques n'en ont que plus de réjouissante lucidité. Nous les lisons d'un pied attentif, d'un cœur aimant, d'une âme furieusement reconnaissante.