Dominique Sampiero, Chante-perce par Marie-Hélène Prouteau

Publié le 03 mai 2015 par Angèle Paoli
Dominique Sampiero, Chante-perce,
Éditions Apogée, 2015.


Lecture de Marie-Hélène Prouteau

ARDEUR DU POÈME

Ce recueil de Dominique Sampiero (Chante-perce) est le fruit d’une résidence d’écrivain dans le Coglais, près de Fougères. Terre de poésie s’il en est, puisque Saint-Brice-en-Coglès est devenu premier « village en poésie » du Printemps des poètes. Avec ce titre, Dominique Sampiero prend à pleines mains l’outil utilisé en Bretagne par les ouvriers du granit pour creuser la pierre. Et le geste métaphorique du poète qui creuse lui aussi, mais dans un autre matériau, s’inscrit dans ce réseau d’images :

« Nommer autrement et creuser sont une tentative pour faire vivre cet héritage et dessinent dans ce livre les deux veines d’une ardeur au poème ».

Le « génie du lieu » a joué à plein sur cet enfant de l’Avesnois élevé sous un ciel bas, non loin des puits miniers et des hauts fourneaux. Dominique Sampiero est sensible à la puissance des lieux du bocage breton : les fougères, les eaux et les pierres qu’il nomme des « dormeuses ». Celui qui vit à double hauteur, celle de ces terres du Nord dont les hommes travaillent les soutes noires, celle des nuages où il ne cesse de rêver depuis l’enfance, entre ici en résonance avec « cette terre de sel et de cidre » :

« pays de pierre entre les murs d’une patience cherchant à frôler les sources accroupies dans le creux de l’instant et que les mains reconnaissent, en écartant la bruyère des carrières ouvertes ».

Le poète sait le pouvoir de la nomination poétique : il y a d’abord la musique des noms propres, Saint-Marc-le-Blanc, Saint-Hilaire, Coglès, Tiercent. Et aussi la longue liste qu’il égrène des prénoms de granitiers. Ou le sous-titre à l’image suggestive, « Haleine du pain ».

La parole poétique, ici, fait monde : elle a ce pouvoir magique de susciter la vie dure, douloureuse, de ces « petites gens ». Poésie évocatoire au sens premier du terme, qui évoque, rappelle les esprits des disparus grâce au regard émerveillant du poète. Ce qui frappe chez Dominique Sampiero, c’est cette « ardeur » de l’écriture poétique ― le mot revient à plusieurs reprises.

Le recueil se divise en six moments où alternent prose et poèmes, illustrés par six gravures épurées de Maya Mémin. Le premier moment, long poème en prose, s’attache aux légendes et aux traces qu’elles laissent dans nos vies :

« Les légendes sont vraies. Aussi vivantes que nos rêves. Elles nous tiennent debout comme des arbres, nos racines puisant dans l’humus d’une mémoire qui se souvient de nous. »

Comment mieux dire que l’imaginaire, cette fabrique de mystère et d’inconnu, est vital, qu’il prenne la forme du rêve, de l’art, de la poésie en particulier ? Pour le poète, « les légendes sont notre humanité sensible, un héritage de pure haleine, de premier mot et de premier soupir ». Voilà la nécessaire respiration qui nous ouvre à un autre monde, de liberté, de créativité, d’altérité. Il y a là une superbe méditation sur les légendes. L’approche de celles-ci est aux antipodes d’une vision folklorisée. Elle met à nu l’universel de ces récits mythiques qui est la part langagière de l’homme.

Suit le second moment du recueil, une réflexion sur le travail d’écriture du livre en train de se faire. Le poète est celui qui est traversé par les formes :

« Écrire commence quand tu effaces les mots en trop, puis ton corps, ton visage et ce qui continue de se manifester n’est pas toi, même si tu dis je, tu ne sais pas d’où ça monte, ni qui est celui qui trace les signes entre tes paumes ouvertes ».

Le mouvement de l’écriture, chez lui, est mouvement d’allègement venu de l’entre-deux de la conscience. Écrire, une haute exigence qui rappelle l’escalade avec pitons et crochets et où l’on progresse au-dessus du vide. Il y a de l’inaccessible dans cette expérience de « la neige du papier ». Expérience toute en tensions et questionnements. Car écrire « souffre d’entendre les blessures se briser les ailes contre la mort […] installe un doute pire que vivre ».

Commence le moment du recueil intitulé « Comme une pierre dans la main ». Le poète met en parallèle le travail des mots et celui des pierres, et la reprise de ces quatre vers, tout simples, plus loin dans le texte, fait l’effet de paroles de chanson qui reviennent :

« C’est ici
C’est dans ce pays
Que m’est venue l’envie
De poser les mots comme des pierres ».

Dans ce jeu de miroirs entre ces deux labeurs, le poète saisit au vol la beauté de ces gestes d’hommes, peu bavards, dont il se sent proche. Bel hommage à cet autre ouvrage, celui qui s’attache aux pierres, « ces dormeuses [qui] envoûtent la légèreté de nos corps dans la traversée des prairies ».

Le moment suivant, « Tendresse du châtaignier », s’attache à la légende particulière de la dame blanche. Elle est figure de légende, irréelle, dans ses voiles de brume, entre mystère et rêve. Corps de toujours, venu d’un très vieux temps. Mais elle fait aussi partie de la mythologie personnelle du poète : il y voit la femme, « l’anima » chère à Jung, dont la lecture lui est familière. Archétype de l’inconscient collectif qui représente l’aspect féminin en chaque homme. C’est dire si le souci de l’universel est bien présent ici.

Vient ensuite la lettre-poème à Xavier Grall. Un ami poète, Yvon Le Men, lui a donné l’œuvre de celui-ci dans l’édition Rougerie à la couverture caractéristique. Avec l’allusion à la « maigreur de prince » plane soudain la haute silhouette du poète breton. Cette adresse-hommage, le plus souvent en distiques, prend l’allure d’une chanson de geste :

« Je viens d’un pays qui n’est plus un pays
Xavier ».

Ce vers reviendra avec des variantes par la suite. Ainsi va se dérouler, par-delà la mort, un échange en amitié entre les « pays » respectifs, « aber et varech » de l’un et « flaques et fougères » de l’autre. Entre le « Je » du poète et le « Tu » de Xavier :

« Donne-moi la force
De dire […]
De dire d’écrire comme toi ».

Dominique Sampiero n’invente pas, il laisse remonter un détail, et voici que renaît la culture ouvrière qui est la sienne. Il lui suffit d’un trait, des « frottements [de] sempiternelles serpillères » des grands-mères, des « baisers au goût de houblon », des « corons classés à l’Unesco », pour faire vivre les lieux, les gestes, les luttes et les fêtes. La voix singulière de Dominique Sampiero est dans l’attention tendre, et coriace à la fois, qu’il porte aux êtres et aux choses. Son regard transfigure le quotidien et nous oblige à changer de point de vue :

« On a tellement "mouru"
Dans les coulées d’acier
Tellement "mouru"
Dans les galeries qui s’effondraient […]
Tellement bu pour oublier
Tellement prié en votant communiste
Que tout aujourd’hui
Nous semble triste et fade »

Le sixième et dernier moment est un « Petit traité des hautes herbes en Coglais ». On retrouve à nouveau le rythme d’un long poème en prose, étonnant texte houle, comme l’herbe qui le suscite :

« L’empreinte des corps laissée dans l’herbe est le visage de Dieu quand il s’oublie. Dieu n’existe pas dit l’herbe mais je suis son rire. »

Poser le regard au ras des hautes herbes, c’est pour lui toucher à l’os des choses. Par moments, ces accordailles avec les hautes herbes atteignent au sentiment océanique de la vie.

Une thématique traverse les six moments du recueil, comme d’autres textes antérieurs de Dominique Sampiero. Il s’agit de la mort qu’il évoque sous divers aspects. Mort des ouvriers dans les accidents de la mine, lien entre mort et légendes, présence des tombes, et, surtout, la mort du poète lui-même qui revient tel un troublant leitmotiv :

« Ah quand je mourrai
Enterrez-moi sous un pommier
Dans un cercueil de bois le plus tendre
Avec mes flaques mon ciel en aubier ».

Avec ce Chante-perce, le poète polit le granit des mots qui donne sa saveur forte et fulgurante d’humanité à ce recueil. Son originalité est de promener son regard en altitude, à hauteur de nuages, sans renier la terre. Tendre et ardent, le cœur du poète vibre pour le présent. Engagé dans sa praxis rebelle de « buveur de ciel »*.

Marie-Hélène Prouteau
D.R. Marie-Hélène Prouteau
pour Terres de femmes


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* Dominique Sampiero, Carnet d’un buveur de ciel, Lettres vives, 2007.





DOMINIQUE SAMPIERO

Source

■ Dominique Sampiero
sur Terres de femmes

[Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
Nos lèvres et leurs baisers (extrait de La vie est chaude)

■ Voir aussi ▼

→ (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Dominique Sampiero
→ (sur Esprits Nomades) une page sur Dominique Sampiero
→ (sur le site de Jean-Michel Maulpoix) « La fièvre lyrique de Dominique Sampiero », par Jean-Michel Maulpoix

■ Autres chroniques et lectures de Marie-Hélène Prouteau
sur Terres de femmes

→ La croisière immobile
→ Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
→ Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
→ Jacques Josse, Liscorno
→ Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
→ Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même



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