Ce moi, ce je, même quand elle en fait un elle, même quand elle l’enrobe de son environnement, qu’elle le transporte d’une époque à une autre, ce moi a les mêmes besoins de s’exprimer par écrit que le mien. De laisser des traces. Dans son cas, besoin aussi de chercher et de décrire la vérité. Un moi qui devient personnage, même si elle s’en défend. Un nouveau genre littéraire affirme toutes les études qui portent sur le sujet de l’autobiographie ou de l’autofiction.
Photographie de moi qui lit elle:
Écrire une vie d'Annie Ernaux
Pourtant une répétition qui ne m’a pas tant dérangée. Je me suis surprise à enchaîner texte après texte, livre après livre. La curiosité, mais aussi le réel plaisir de lire encore et encore sur cette réalité, cette vérité « socio-biographique » qu’elle cherche à tout prix à rendre (ou à comprendre?) dans une recherche d'écriture qu'elle veut neutre, sans émotions. Je n’aurais pas cru un jour lire un auteur dont les principaux écrits (il ne faut surtout pas parler de romans dans son cas, elle y tient, s’y refuse) ne traitent que d’elle-même. Il faut croire que sa recherche de la vérité lui tient lieu de sujet, et ce moi, ainsi exposé à foison, justifie ce qui pourrait sembler du narcissisme outrancier.
Si j’ai aimé, si j’ai même dévoré, c’est que malgré nos différences, malgré qu'au contraire d'elle, j'aime jouer dans le cœur des humains et susciter des émotions, je me suis reconnue : dans l’époque, dans la féminitude, et surtout dans cette soif d’écrire. Jamais mes textes ne seront scrutés à la loupe, ne seront objets de tant d’études ou de documentaires. Jamais revue littéraire ne me demandera mon avis sur tel ou tel sujet culturel, mais quand même, le temps de la lecture — Les années surtout — je me suis sentie du même temps qu’elle. Je me suis sentie écrivain comme elle. Sauf que moi je transpose dans des romans. Depuis longtemps, j'ai renoncé à cerner la vérité. Je raconte, je déforme, je maquille.
Tout de même, c'est comme si Annie Ernaux (je la nomme enfin, me suis amusée à faire comme elle et ne jamais ou presque donner de noms aux gens dont elle parle) me donnait la permission d’écrire aussi sur moi, sur ma vie.
Quand donc cesserai-je de me comparer, de me chercher des raisons d’être ceci ou cela? À quel âge ou de quelle blessure doit-on guérir pour n’être que soi? Quand donc cesse-t-on de se demander « qui suis-je? » Peut-être que je ne lis que pour me retrouver, me reconnaître. Et j’écris pour les mêmes raisons.