Cape Town Stadium
Ce week-end, un mien proche m'a narré une bien plaisante histoire (vraie).
Il était une fois un homme, dont la cinquantaine avait épuisé le couple, qui fréquentait une bande d'amis dans laquelle était une femme, qui s'ennuyait aussi. Qui, d'elle ou de lui fut le premier séduit ? Nul ne saurait le dire. Reste que l'histoire se noua, intense comme elles le sont toujours lorsque dans l'illégitime elles prennent l'inspiration. Juin arriva, son soleil, sa chaleur, son parfum enivrant d'échappées belles. Mais comment s'y prendre lorsque le quotidien et les obligations pèsent de part et d'autre comme un triste couvercle ? L'interdit stimule tout, c'est bien connu. L'imagination dont firent preuve les amants fut à leur mesure : elle convainquit son mari de la nécessité pour elle de se rendre sans tarder à Madagascar aider des amis ; il expliqua à son épouse qu'un séminaire des plus barbants l'obligeait à s'exiler une semaine en Afrique. Chacun de son côté prit un billet d'avion, l'une pour Tananarive, l'autre pour Pretoria.
Que valent Tana - Jobourg - deux mille kilomètres - lorsque la passion nous dévore ? A peine trois heures d'avion. Ils se retrouvèrent donc dans cette Afrique du Sud de 2010 qui accueillait, avec un enthousiasme frôlant le délire, la Coupe du monde de football. Dès lors, comment manquer un tel rendez-vous avec l'Histoire ? A Cape Town, ville des rencontres, où même les océans viennent se tutoyer, comment résister à France - Uruguay ? Impossible. Ils prirent donc un billet.
Mais, car il y a un mais... il lui était arrivé à lui une petite aventure quelques semaines plus tôt. Assistant à un match de tennis important, il avait été filmé à son insu et son image retransmise aux millions de téléspectateurs de la rencontre. Bien sûr, dans ces millions se trouvaient nombre de ses amis, et l'un d'entre eux l'avait reconnu. "Ah, tu étais à Roland Garros la semaine dernière, je t'ai vu à la télévision !", s'était-il entendu dire... Surprise !
Le "mais" de notre histoire consiste donc à dire qu'un homme averti en vaut deux. En effet, comment ne pas imaginer le mari esseulé, calé dans son canapé avec une bière et une pizza, trop content de regarder tranquillement France - Uruguay en paix... Comment ne pas le voir découvrir avec cette stupéfaction mêlée d'incompréhension et d'une bonne dose d'incrédulité que seuls connaissent les hommes trompés, son épouse, celle-là même qu'il croyait gentiment à Madagascar, devant le même match que lui mais en direct et sur les gradins du Cap dans les bras de l'un de ses copains...
Fort de son expérience tennistique, il lui imposa donc le port d'un bob, facile à trouver en ville depuis que le ridicule ne tue plus, et de lunettes de soleil opaques lui mangeant la moitié du visage, malgré la nuit qui régnait en maître sur le Cape Town Stadium, vu l'heure de la rencontre. Ils n'osèrent pas la fausse barbe... Pourtant, depuis Michel Audiard, on sait qu'il faut trois barbus pour faire des barbouzes. A deux, ils ne risquaient rien !
Le sort voulut que ce soir-là justement, d'autres supporteurs qui leur étaient connus leur proposassent des places pour la tribune officielle française. Une occasion unique d'être tout près des joueurs et de la pelouse ! Une aubaine qui se paie à prix d'or et qu'on leur offrait généreusement ! Hélas... c'était aussi et surtout le risque inconsidéré de se faire capter par une caméra baladeuse. Ils refusèrent donc avec acharnement et restèrent recroquevillés sur leur gradin éloigné, bob vissé sur la tête et lunettes sur le nez, au milieu des vuvuzela stridulants, guettant, un peu inquiets, travelings indiscrets et téléobjectifs en maraude.
La providence est bonne fille, elle les laissa tranquilles. Ils ne se firent attraper que deux ans plus tard.