Il y a les livres que tu lis par curiosité. Tu en as entendu parler, ou il a gagné un prix. Parfois tu ne le finis pas, par manque d’intérêt, il ne te dit rien, tu ne t’identifies à aucun personnage. Même si c’est un roman québécois.
Il y a ceux que tu as lus quand tu étais à l’école. Tu étais en réaction. Il fallait que tu le lises pour en parler, en faire une dissertation. Avec des fiches avant. Des livres que tu aurais pu aimer si on ne te les avait pas imposés. Rebelle à toute suggestion, sauf celles qui venaient de ta mère. Et encore, tu ne lui disais pas que tu avais aimé Les mémoires d’une jeune fille rangée. Que tu avais relu trois fois Donner ou le journal d’Anne-Marie.
Il y a des romans que tu as lus deux fois et que tu relirais encore. Par pur romantisme, comme les Daphné Du Maurier. Pas les polars, tu n’as plus le goût, ils ne t’apportent rien, tu ne sens plus rien, pas même de la curiosité, pas même du divertissement.
Les romans que tu préfères maintenant sont ceux qui te donnent envie d’écrire, d’en parler ou de parler de ta vie, qui enrichissent ta vie d’auteure. Quitte à écrire n’importe quoi, comme présentement. Parce que tu lis La vie littéraire de Mathieu Arsenault. Un livre sans point ni virgule. On dirait de l’écriture automatique. Il dit tout ce qui lui passe par la tête. Et le pire, c’est que ce fut publié. Et le deuxième pire, c’est que tu savoures. Tu te revois à quinze ans quand tu écrivais le soir, enfermée dans ma garde-robe. Tes parents croyaient que tu étudiais. C’était avant l’ère des blogues et des réseaux sociaux, avant même l’ère des téléphones intelligents accessibles aux enfants qui insistent pour en avoir. Avoir quinze ans aujourd’hui, tu écrirais probablement un blogue, comme exercice à l’écriture. À l’expression. Le texte de Mathieu Arsenault est plus accessible que celui de Marie-Claire Blais, mais moins facile à lire que La maitresse de Lynda Dion, deux auteures qui ont employé le même procédé, mais avec plus de contenu. Tu ne veux pas dire « plus facile », tu veux dire moins bon. Et ton « plus de contenu » signifie une structure, une ligne de pensée. Tu manques décidément de vocabulaire. Tu devrais relire et prendre des notes en lisant Prague sans toi de Jean Lemieux. Tu aurais voulu que cet auteur écrive plus de romans « adultes », les polars, ça ne t’intéresse plus, tu l’as déjà dit.
Ton esprit est encore dans Écrire la vie d’Annie Ernaux. Tu voudrais lire d’autres livres d’elle pour rester dans cette atmosphère propice à écrire a ton tour. Tu cherches encore comment elle est devenue si « étudiée » avec un contenu si autobiographique. Tu ne trouves pas la liste des auteurs québécois étudiés à l’université. Tu auras toujours ce complexe de ne pas avoir de licence et encore moins de maîtrise en littérature. Même si le cours « création littéraire » avait existé en 1970, l’aurais-tu pris? L’amour, la vie, la nature t’attiraient plus que les études. Pas que tu croyais en savoir assez, mais tu en avais assez de te faire dire quoi penser, de te faire demander ce que pensaient les auteurs, ou devoir expliquer le parcours de tel ou tel philosophe. Tu avais déjà envie de dire ta propre pensée. De trouver ta manière, d’être indépendante et libre du sujet comme du style. Ta jeunesse te rendait audacieuse, impétueuse. Aujourd’hui, ça te rattrape, tu lis les études sur un tel ou un tel. Quelques lignes, quelques paragraphes, juste pour te faire une opinion. Ou plutôt faute d’avoir ta propre opinion, lire ce que d’autres en pensent. Et répéter en faisant semblant que c’est la tienne. Le jour où te le demandera. Ce qui est rare. On te demande ton argent, ton vote, mais rarement ton opinion. De toute façon non seulement tu détestes les Vox populi qui ne veulent rien dire, mais de plus, on t’a tellement appris à nuancer, à ne pas juger que tu as rarement une opinion sur les choses, les gens, les événements qu’ils soient d’ordre politique, littéraire ou sportif. Tu ne penses rien, tu écoutes, tu gobes, tu lis et tu essaies de rester neutre. Depuis longtemps tu n’as plus l’assurance de ta jeunesse. À force, tu as l’impression d’être froide ou vide, au mieux indifférente lors d’échanges. Les discussions sont courtes avec toi.
Finalement, les livres que tu aimes, ceux qui te donnent envie d’écrire à ton tour, qui te font avancer, tu en parles, mais comme d’un précieux secret. C’est dire qu’ils t’ont touchée. C’est révéler que tu es comme cet auteur ou ce personnage. C’est montrer que tu n’es pas si froide, si neutre, si indifférente. C’est dire un peu qui tu es. Et réussir à trouver d’abord, à circonscrire et à coucher sur papier qui on est, sans paraître présomptueux, ce n’est pas donné à tout le monde. Tu n’es pas ni ne sera jamais Annie Ernaux. N’essaie même pas. Admire ce qu’elle écrit, point. Et continue d’écrire, même si c’est peut-être n’importe quoi et que ça ne sera jamais sujet d’étude ou de prix.
Ajout: Abandonné La vie littéraire. Trop c'est trop. Dans le style trop difficile à suivre, trop de mots, rien pour souffler. Trop de pas-d'émotions. Trop de rien-à-surligner. Comme une cacophonie. Merci tout de même à l'auteur qui m'aura au moins fourni un prétexte pour écrire ce billet.