Si on pouvait tout avoir, ami lecteur, ça se saurait. Si tel était le cas, je n'aurais eu aucun scrupule à faire l'école du cirque, car, à tout avoir, autant que ce soit un salaire de ministre en passant ses journées à jongler nonchalamment avec des quilles en feu. Mais le monde est ainsi fait : gagner de l'argent suppose d'accepter des responsabilités, de prendre des risques, de travailler sans compter ses heures (je parle d'un monde équitable, où la corruption n'existerait pas et où l'esclavagisme serait aboli)(ma théorie a ses limites, mais il nous faut bien composer avec le monde qu'on a).
Je ne suis pas carriériste pour trois sous (je suis une quiche en construction de réseau - nous y reviendrons - et, si je ne risquais pas rapidement de rencontrer un problème de cashflow (c'est l'ex-requin de la finance qui parle) je reprendrais volontiers mes études). Pourtant, comme tout le monde, je retire une satisfaction inexplicable à m'imaginer gravir des échelons. Et malgré tout, c'est à chaque fois pareil : au moment où j'atteins péniblement le deuxième (échelon), je dégringole sur le plancher sans même qu'on m'ait poussée. Comme si, en équilibre sur cette échelle, je décidais volontairement de m'auto-catapulter au ras des pâquerettes, comme ça sans raison apparente. Ami lecteur, j'avais le choix : celui de penser que je suis complètement maso (ou que je souffre d'un vertige maladif) ou celui, au contraire, de me convaincre que j'ai judicieusement préféré une situation qui, même si elle est moins glorieuse, me convient mieux. Et bien j'ai choisi cette dernière option.
Je pense avoir tout simplement fait un arbitrage, pas tout à fait conscient, mais pas déraisonnable non plus, pour rompre, au fil de mon parcours, avec une certaine routine professionnelle (je ne comprends plus ce que je fais là, je ne vois plus d'avenir au bout de cette échelle, allez hop! je saute). Aujourd'hui, j'entends que mes prochains arbitrages soient complètement conscients et complètement raisonnables et c'est pourquoi je me suis interrogée sur les véritables sources de satisfactions que m'ont procurés jusqu'ici mes différents emplois.
En pole position de cette (courte) liste de satisfactions, il y a la sécurité. Tu as le droit de penser que je suis une poule mouillée, je n'irais certainement pas te voler dans les plumes (car c'est c'lui qui l'dit qui l'est). Mais avoue que ça a du bon de savoir que le dernier jour de chaque mois tu as un revenu qui te permet d'être indépendant et d'assumer tes frais fixes et quelques extras (qui, en ce qui me concerne, dépassent parfois les frais fixes)(et je n'en ai pas honte)(relis moi ça avant de me juger). Tout va bien jusqu'à ce que tu considères que le jeu n'en vaut pas la chandelle, que gagner de l'argent mais qu'être malheureux dans son travail ne permet pas un épanouissement maximal. C'est alors que tu sautes : plus de liquidités, plus de sécurité. Quand tout s'arrête, je peux te dire qu'on ressent cycliquement de vrais sentiments de vertige, qui donneraient presque envie de re-grimper sur cette foutue échelle (ma vie est paradoxale ces jours-ci).
En seconde position, il y a la maîtrise du temps qui passe. Quand tu travailles tu ne le vois pas passer, seulement furtivement, quand tu regardes en arrière, que tu comptes les jours, les mois puis les années installé au même bureau (moment de vertige, suivi du grand saut). Enfin quand tout s'arrête, les journées passent et se ressemblent. Elles sont rythmées par les repas, les plannings de ceux qui bossent, qui produisent, qui avancent quoi.
Et nous touchons là à la troisième source de satisfaction : cette sensation, grisante parfois, d'avancer, largement encouragée par la société dans laquelle nous vivons et pour qui un parcours est nécessairement vertical (on monte les échelons, patiemment, un à un). Dans ces conditions, difficile de faire un pas de côté pour aller voir ce qu'il se passe sur l'échelle du voisin. C'est là que je saute en général. Mais du coup tout s'arrête : aujourd'hui, en l'occurrence, je fais du sur-place, je ne me déplace ni verticalement, ni horizontalement (disons que je retrouve mon équilibre, comme les championnes d'agrès après un triple salto sur des barres asymétriques).
Pour chacune de ces " sources de satisfactions " j'ai compris que j'avais fait des arbitrages qui m'avait menée au job-out, et à fortiori à une situation instable s'il en est. Je les ai regardées droit dans les yeux ces " sources de satisfactions " et en les défiant du regard, j'ai fait l'arbitrage ultime : je vais vous prendre à contre-pied satisfactions chéries. Je crains l'insécurité, le temps qui passe frénétiquement et la société qui juge chacun de mes faits et gestes ? C'est donc le moment ou jamais de se barrer à New York (si si), n'en déplaise à mon porte-monnaie, aux new-yorkais toujours pressés dont la frénésie ne m'atteindra pas (ou pas) et à mon entourage (ceux qui demandent l'air inquiet " mais pourquoi ? ", " mais comment ? ", " mais avec qui ? ") que l'achat compulsif de ce billet laisse encore perplexe.
Quitte à sauter de l'échelle, autant que ce soit pour retomber sur ground zero.