Comme je te l'ai dit ( ici), le verdict de mon dernier entretien d'embauche est tombé et, apparemment, je ne correspondrais pas au poste. En fait, je ne saurais l'affirmer étant donné que je n'ai eu droit à aucune explication malgré les différents rendez-vous que nous avons eus ensemble et les quelques heures passées à essayer de nous séduire mutuellement. Un peu comme si, à l'issue de plusieurs dîners et d'innombrables coups de fil avec un type qui te courtise depuis des semaines, tu te faisais liquider par un minable texto (" finalement, ça va pas être possible ") avant même d'avoir conclu ou demandé quoi que ce soit.
Mauvais timing, incompatibilité d'humeur, projets long-terme pas assez clairs pour s'engager durablement. Si ces motifs pourraient être ceux qui ont poussé ce recruteur à m'exclure de sa shortlist, qu'il se rassure : je les partage. Aujourd'hui ce qui me contrarie le plus n'est pas tant de ne pas avoir eu le poste que de ne pas avoir eu la promptitude de les prendre à contrepied.
Parce que depuis le début de ce processus de recrutement, quelque chose me dérangeait. Rien dans le contexte n'était fait pour que je me sente à l'aise. Dès mon entrée dans cette immense réception de six mètres de hauteur sous plafond tout en boiserie, j'ai commencé à prendre la mesure de la situation. Il m'a fallu encore la redimensionner quand la standardiste - une blonde d'1m80 perchée sur des talons de 15cm (rien de tel pour se sentir une pygmée) - s'est levée pour m'accompagner en salle de réunion. Chemin faisant, quand elle m'a demandé si je désirais quelque chose, j'ai hésité entre ses Louboutin ou un verre de Cognac.
Et puis nous avons pénétré dans ladite salle de réunion.
La cour carrée du Louvre.
Comme seul mobilier, une simple table en bois (de trente mètres de long) et quelques chaises (une centaine). Ami lecteur, je ne suis pas quelqu'un de particulièrement superstitieux mais il n'empêche que si quelqu'un me tend un jeu de 32 cartes et me demande d'en piocher une au hasard, j'hésite pendant plusieurs secondes, convaincue qu'il y a forcément une carte plus heureuse que les autres. Alors imagine-moi au bout d'une table de trente mètres à devoir choisir une chaise parmi cent autres : le doute et la désolation étaient palpables. J'ai finalement demandé à Elle McPherson de m'apporter un petit remontant (un quart d'Evian) et je me suis assise sur la première chaise venue en essayant de ne pas trop réfléchir. Et puis, ils sont arrivés.
Ils étaient trois, comme les trois mousquetaires (ou comme les pieds nickelés) et l'entretien a pu commencer. Si la standardiste m'avait donné l'impression de ne pas avoir fini ma croissance, ces trois là m'ont, eux, donné l'impression de n'être qu'une adolescente pré-pubère à la recherche d'un stage d'été. Entendons-nous. J'ai la phobie du temps qui passe et j'aime qu'on me dise que je ne fais pas mes ## ans. Certes. Mais éclipser mes ## années d'expérience professionnelle par des questions dignes de celles qu'on poserait à un stagiaire de troisième alors ça non.
Si de mon côté, je n'ai pu obtenir aucune information me permettant de savoir si le poste qu'ils proposaient pouvait m'intéresser, du leur ils n'ont obtenu aucun indice leur permettant de savoir si mon profil pouvait leur convenir (oui, car je fais partie de cette vieille école qui considère un entretien d'embauche comme un échange réciproque : si j'accepte leur poste, je ne considère pas qu'ils me font une faveur en me le proposant. Et vice versa. Soyons sérieux, nous sommes tous des professionnels.) Jamais il n'a été question de mon poste précédent, des missions qui m'avaient été confiées, des responsabilités que j'avais assumées. C'est aussi la première fois au cours d'un entretien d'embauche qu'on ne me demande rien sur mes précédentes reconversions professionnelles (la seule question pour laquelle j'ai un discours bien rôdé : ma perplexité n'avait d'égale que ma déception). Rien non plus sur mon choix de départ de cette institution florissante que je m'apprêtais à quitter. Au lieu de ça : " Citez moi une qualité, un défaut ", " Où vous voyez-vous dans cinq ans ", " Que font vos parents ". True story.
Rien qui fasse avancer le schmilblick, donc. Je les connais mes défauts, mais je me demande bien à quoi ça pourrait leur servir de savoir que je suis névrosée et " météopathe ". Et puis je vais quand même pas leur dire que je suis perfectionniste (tu sais, ce défaut qui se transforme en qualité, le seul dont on t'a donné l'exemple avant que tu ne passes tes premiers entretiens). C'est là que j'ai décidé de faire preuve d'humour (pas le choix). " Je suis humble, peut-être même trop. Et hop, coup double ! Une qualité qui se transforme en défaut, comme ça le compte est bon " (parfois je souffre d'incontinence verbale). " Dans cinq ans, je me verrais bien à votre place " (et vous à la mienne)(ça je ne l'ai pas dit, mon incontinence verbale a ses limites. Et puis rappelons que je suis censée être humble). " Quant à mes parents, à cette heure-ci, ils font probablement un scrabble ".
Il y a eu bien évidemment d'autres questions, toutes du même acabit, et quelques pièges aussi (ils avaient manifestement envie de montrer qui c'est le patron). Mais à chaque fois, mes réponses se concluaient par un éclat de rire. J'aimerais pouvoir te dire que je me tenais les côtes moi aussi mais loin de là : je ne trouvais ni leur compagnie, ni le décor suffisamment drôles. Bizarrement, ce ne fut pas le dernier entretien. Ils m'ont convoquée une seconde fois pour que je fasse la connaissance de leur chef. A mon avis, ils ont dû avoir envie de lui procurer un petit moment de détente, un interlude humoristique au cours de sa journée harassante (" Ah ! Et n'oublie pas de lui demander où elle se voit dans cinq ans, tu verras c'est poilant ! ")
Aucun regret donc, si ce n'est celui de ne pas avoir mis fin à la plaisanterie en premier. Mais après tout quand on est humble (et drôle avec ça), on n'est pas à ça près.