Limaces et petits hommes verts

Publié le 22 janvier 2010 par Plumaplumbum

Dans le monde du vivant il existe six règnes: animaux, végétaux, champignons, bactéries, protistes, archée. Mais pour faire simple revenons à la division courante: animal et végétal. Qu'est-ce qui différencie ces deux catégories? D'aspects fort différents (mais là n'est pas la question) les spécimens de ces deux règnes sont quasi identiques au niveau cellulaire. Un non-spécialiste ne ferait aucune différence entre une cellule de pissenlit et une cellule de lièvre. Le biologiste, lui, chercherait des chloroplastes. Cela ne vous aide pas plus à comprendre la différence fondamentale entre un lièvre et un pissenlit. La clef du mystère se nome " énergie ". Laissez-moi vous expliquer cela de façon rudimentaire:

Personne ne vit d'amour et d'eau fraîche (hormis les princesses mais c'est un autre débat), et pour survivre notre corps a besoin d'un apport extérieur pour fabriquer son énergie. En gros il nous faut manger, boire et respirer. L'herbivore mange des plantes, le carnivore mange l'herbivore (l'arbre lui, bien plus civilisé, ne mange personne. Mais chaque chose en son temps). une échelle microscopique nos cellules contiennent ce que l'on appelle des mitochondries, éléments spécifiquement chargés de " fabriquer " l'énergie dont nous avons besoin. La digestion permet de " casser " nos aliments, les réduisant en briques élémentaires transportées par le sang dans nos cellules. Certaines de ces briques comme le glucose (inexploitable tel quel) sont transformées par ces mitochondries en énergie utilisable: l' ATP. Cette opération requiert de l'oxygène et rejette du co2 (ce qui nous oblige donc à respirer). La constitution même de nos cellules animales nous condamne à manger pour survivre. La plante, elle, bien qu'incapable de courir, a tout de même une longueur d'avance sur l'animal, car ses cellules contiennent les petits éléments précédemment évoqués: les chloroplastes. Pour faire simple: il s'agit de petits organites, présents dans la cellule, spécifiques au règne végétal et dont la fonction est d'opérer la photosynthèse (et contenant la fameuse chlorophylle, responsable de la couleur verte des végétaux). Grâce à l'action de la lumière et à un apport d'eau, de sels minéraux (dans le sol) et de co2 ces petites usines vertes fabriquent leur glucose tout en rejetant de l'oxygène. Ce glucose ainsi fabriqué peut ensuite entrer dans le cycle de fabrication de l'ATP via la mitochondrie (comme pour le règne animal). Comprenez-vous l'intérêt de la chose? Plutôt que de manger du steak ou des carottes la plante mange du CO2. Vous voilà donc au courant de cette différence majeure entre règne animal et végétal.

La limite est nette, la frontière apparemment infranchissable. Il existe pourtant quelques resquilleurs, étrangers au règne végétal et coupables de vol de cellules photosynthétiques qu'ils récupèrent pour leur propre compte. Une fois ces cellules en fin de vie le voleur est obligé de se réapprovisionner. Mais ce n'est que de la menue délinquance et il n'est nullement question ici d'un pont entre les deux règnes.

, une simple limace de mer, est bien connue des services de police pour son côté cleptomane ("Kleptoplaste "plutôt). Elle mange des plantes (algues) et les digère à l'exception des petits chloroplastes qu'elle récupère intacts pour elle-même. Ce comportement lui permet de vivre quasiment sans manger, car son énergie provient de la photosynthèse des chloroplastes volés (sa jolie couleur verte est un signe évident de son larcin). Jusque là rien de nouveau pour les spécialistes. Et pourtant Mme limace a récemment surpris tout le monde. Une équipe de chercheur vient en effet de prouver qu'au-delà du simple vol Elysia chlorotica est aussi en état de synthétiser elle-même sa propre chlorophylle ! (Il s'agit là de la seule espèce animale connue capable d'une telle prouesse). Voilà donc, pour le coup, un pont entre règne végétal et animal!... Je suis totalement fasciné par cette découverte! Voyez-vous l'intérêt évolutif évident de ce tout premier moteur hybride animal-végétal? Tous les avantages du premier règne, notamment la mobilité, avec en prime la photosynthèse en cas de vaches maigres... Renversant!

Cette histoire m'a rappelé une précédente réflexion. Permettez donc que je m'éloigne un peu de notre élégante limace.

Qui dit " manipulation du génome humain " dit eugénisme; et qui dit eugénisme pense certainement nazisme. C'est peut-être un peu bref comme raccourci, mais je ne crois pas être trop éloigné de ce que représente le bidouillage des gènes dans l'inconscient collectif. La plupart des gens ont en tête l'ambition Hitlérienne d'une race pure : Grand, blond, yeux bleus, etc. En bref: des clones! Rien de plus contraire à la nature, car qui s'intéresse au règne du vivant constate la propension de celui-ci à tendre irrésistiblement vers plus de complexité... Envisageons donc la question de ce point de vue. Plutôt que de tendre vers une forme de pureté, totalement illusoire et même dangereuse du point de vue de l'évolution (sans parler du point de vue éthique) imaginons donc une forme d'eugénisme tendant vers d'avantages de complexité. De part notre maîtrise toute récente de notre environnement et grâces aux avancées de la médecine nous avons en quelque sorte stoppé le mécanisme de sélection naturelle. Il est bien trop tôt pour imaginer les répercussions que cela aura dans plusieurs milliers/millions d'années, mais cela ne nous empêche pas d'y réfléchir. Est-ce un bien? Est-ce un mal? Il est évident qu'il s'agit du réel progrès humain, car désormais tout le monde a sa chance. Tant mieux, cela fait aussi partie du processus civilisationnel. Mais demandons nous, sans aucun parti pris idéologique, si cela ne nous sera pas préjudiciable, sur le long terme, du point de vue de l'évolution. Aujourd'hui, en 2010, l'Homme est encore adolescent; il serait donc dangereux de lui laisser carte blanche pour réajuster ses gènes. Mais imaginons (on peut rêver) que dans une centaine d'années notre espèce sorte de l'adolescence et accède à l'âge adulte. Dans cette utopie de sagesse l'homme ne devra-t-il pas songer à prendre en main, du moins en partie, son futur génétique? (les lecteurs de Dan Simmons se souviennent sans doutes des Extros d' Hypérion. J'avais trouvé fascinante l'idée d'adapter génétiquement l'homme aux planètes visitées plutôt que de transformer ces planètes en fonction de nos besoins)...

Vous pensez sûrement à notre amie la limace et vous demandez la raison d'un tel égarement de mon propos. Je vous rassure je ne suis nullement égaré et il est temps maintenant de revenir à notre gastéropode. Preuve est faite qu'un animal est capable de synthétiser de la chlorophylle. Ne pourrions nous pas envisager d'intégrer cette spécificité à notre génome? Imaginez notre épiderme couvert de chloroplastes. Au-delà de l'aspect pas forcément esthétique d'une peau verdâtre (sauf pour les fans de Hulk) il s'agirait d'un réel avantage évolutif! Pendant nos périodes d'intense activité nous mangerions comme à notre habitude, mais au calme il nous suffirait de prendre un bain de soleil! Quelles répercussions cela aurait d'un point de vue social, écologique, géopolitique! La plupart des conflits actuels concernent l'énergie. Qui possède ce pouvoir peut maîtriser/modeler son environnement et donc subvenir à ses propres besoins vitaux. Imaginez que l'accès à la nourriture ne soit plus une priorité; combien vous diminueriez alors les motifs de conflits! Cela renverserait même le schéma actuel, car l'Afrique bénéficiant d'un ensoleillement record serait la moins demandeuse en ressources alimentaires. Mourir de faim deviendrait impossible (ça ne règle pas le problème de l'eau, mais ce serait tout de même un grand pas non?)...

Bref, en ce qui me concerne je ne vois aucun problème éthique à l'avènement d'un homme vert, bien au contraire, je trouve cette idée plutôt séduisante.

Qu'en dites-vous ?