Lorsque je lis les témoignages d’accouchement sur la blogosphère ou que j’entends celui de mes copines, je ne parviens pas trop à classer le mien. Était-il horrible/catastrophique ou au contraire totalement idyllique ? A mes yeux, il n’était aucun des deux mais il m’a permis de comprendre que ce serait « une fois mais pas deux » pour moi.
Mon accouchement n’a pas été horrible ni humiliant ou frustrant. Il n’était pas non plus un parfait petit moment de bonheur où voir la bouille de mon trésor était tout ce qui m’importait. Et non, je n’ai pas aussitôt oublié ce qu’était d’accoucher, contrairement à ce que j’avais pu entendre bon nombre de fois.
Je me suis énormément demandé si j’avais le droit de me plaindre en sachant que d’autres femmes en vivaient un bien moins « beau » que le mien. J’en suis finalement arrivée au point où, oui, j’avais le droit d’en parler, parce que la naissance de Loulou a fait de moi une maman et de ma maman une mamy. Cela fait partie de moi, de mon vécu.
Après en avoir discuté avec des copines et des collègues, je me suis rendue compte que, si je n’avais pas du tout aimé mon accouchement au point de me convaincre dur comme fer de ne plus jamais retenter l’expérience, c’est qu’à mes yeux il aurait pu bien mieux se passer. J’aurai souhaité être conseillée, qu’on me parle de sage-femme et d’autres manières d’accoucher que couchée de tout son long, les pattes écartées, les pieds dans des étriers avec une dizaine de personnes autour de moi. Cette sensation horrible que mon corps ne m’appartenait plus sur le moment fut fort difficile à accepter et encore à l’heure actuelle, soit une dizaine d’années plus tard, parler d’accouchement m’est désagréable.
Et si je décide d’enfin poser des mots sur ce blog, livrée ainsi à vous, c’est que j’en éprouve le besoin. Enfin pouvoir me libérer.
Tout d’abord, revenons à mes 9 mois de grossesse.
Dans l’ensemble, tout s’est bien passé mis à part à mon 8e mois où j’ai été victime d’une sciatique ainsi que d’une cystite qui m’ont tenu compagnie durant tout un mois entier. Devoir uriner des lames de rasoir toutes les cinq minutes fut un calvaire. Devoir surtout être seule à vivre ce moment, parce que ni le médecin ni la gynécologue ne m’écoutaitent, n'était pas agréable non plus. Mais dans l’ensemble, je n’ai pas à me plaindre. J’ai eu des envies de cornichons qui m’arrachent la bouche, ceux super forts qui font grimacer à chaque bouchée. Rien que l’idée que j’aie pu dévorer des bocaux entiers installée devant ma télévision me fait sourire. Pas d’envies de fraises ou d’autres choses, mais des cornichons.
Lors de mes visites à l’hôpital, je suis déclarée anémiée donc très régulièrement j’ai droit à une prise de sang. Un bon nombre de fois, l’infirmière me rate et mes veines ressemblent à celles d’une droguée. Ce n’est pas grave, je porte la vie en moi. Je suis heureuse. Je suis fière.
Je n’ai jamais l’occasion de poser de questions puisqu’on ne m’explique rien. On me dit juste que je ne peux pas manger de légumes mal lavés (c’est-à-dire qu’il faut les laver un minimum de 5 fois) ni de viande rouge et encore moins faire la litière de mes chats et surtout pas me faire griffer, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce que j’ai qui ne va pas. Lorsque je le demande, le gynéco me dit que je n’ai pas fait la toxoplasmose. D’accord, c’est tout ce que j’ai apparemment à savoir.
Je ne sais pas si c’est le fait que je sois jeune qui dérange les médecins mais on m’explique le strict minimum et je comprends très vite que je dérange lorsque j’ose poser une question. Du coup, je n’en pose plus. Je n’ose plus rien dire d’ailleurs. Je me laisse guider de services en services, on ne me demande mon avis sur rien, on décide pour moi. Je n’ai pas 14 ans, je vais en avoir 20, je ne suis pas débile, je peux comprendre des choses. Mais ça, ça n’a pas l’air de percuter dans la petite tête de mes « bienpensants » médecins.
Ainsi, on a décidé que j’allaiterais. On a décidé que je lui mettrais des couches jetables. On a même décidé que j’aurai une péridurale. On ne me parle pas d’autres moyens d’accoucher. J’apprendrai bien plus tard que j’aurai pu accoucher dans l’eau ou même chez moi.
Personne ne me parle de préparation post-natale, j’ai récupéré un petit papier qui traînait dans la salle d’attente et qui en parlait. Malheureusement, je ne l’ai trouvé qu’à 6 mois de grossesse et « c’est trop tard pour vous inscrire » qu’on m’a dit. J’accoucherai donc sans même savoir ce qu’il se passe si ce n’est faire naître un bébé, point.
Personne ne me parle d’accouchements difficiles. Bébé en siège, césarienne, forceps et compagnie sont de parfaits étrangers pour moi. J’espère simplement ne pas avoir à les rencontrer le Jour J.
Lorsqu’on m’a annoncé que j’étais enceinte, je l’étais de treize semaines. Un bébé pilule comme ils appellent ça. Le gynécologue devant ma bouche bée déclare de but en blanc qu’il va m’arranger un rendez-vous pour… avorter !
Avoquoi ? Heuu attendez là toubib, je n’ai pas le droit de réfléchir ? Ok il faut que je le fasse rapidement parce que la date légale d’avortement est là mais je ne peux pas juste accuser le coup et y réfléchir ? Je refuse de l'éliminer, puisque c'est ce à quoi ça me fait penser là sur le coup devant ce type en blouse blanche qui s'impatiente. Un petit être grandit en moi depuis 13 semaines, il y restera le temps qu’il voudra. Pas question d’avorter. Le gars marmonne quelque chose que je préfère ne pas entendre, me fusille du regard (« Mon dieu, encore une petite conne qui va foutre sa jeunesse en l’air » a-t-il dû se dire). Ce sera la dernière fois que je le verrai celui-là. J'ai l'impression de n'être qu'un "cas" et certainement pas une personne à part entière, surtout pas une femme, même très jeune, qui porte la vie en elle. Juste un cas !
Arrive le Jour J. Je suis dans mon canapé et j'ai mal au ventre. C'est sûrement ce que j'ai mangé au soir, je vais prendre une bonne douche et aller me coucher. Après ma douche, j'ai toujours mal au ventre. Ce n'est pas en continu mais ça vient et ça part. C'est pas fort douloureux mais c'est surtout désagréable. Très vite, j'ai mal et ces douleurs se sont de plus en plus régulières. Bon ce n'est pas toutes les minutes, c'est fort espacé, mais c'est douloureux. J'en ai marre, je suis fatiguée. Il est une heure du matin et je suis toujours là avec ces douleurs. Je me décide à en parler à ma maman qui sort la valise que nous avions préparée à deux et me dit qu'on y va... On y va ? Attends là maman, on y va où là ? Je ne vais nulle part, je ne vais pas accoucher, je vais me coucher !
Me voilà couchée sur un lit d'hopital. Une infirmière me dit que c'est aujourd'hui que va naître mon fils. Youpie, dans pas longtemps je l'aurai dans mes bras. Mais en attendant, j'ai mal ! L'infirmière me dit que la poche des eaux n'est pas encore percée et qu'après ça, a douleur sera encore plus forte mais que très peu de temps après, mon fils naîtra. Ô douce ironie, me voilà bien rassurée à présent. C'est pas comme si les douleurs étaient déjà fortes, on me dit que ça, ce n'est encore rien. Mais je ne crie pas, je ne me plains pas, je gère ma douleur en silence.
Une femme hurle dans la chambre d'à côté. A chaque moment qui semble être une contraction, elle gueule tout ce qu'elle peut. Je me dis qu'une femme qui hurle, c'est déjà bien assez, je ne vais pas infliger une seconde à mes infirmières. Donc je me tais. De toutes façons, je n'ai qu'une impression à être ici : déranger. C'est une impression qui me hantera longtemps encore après mon accouchement. Ce qui aurait pu être un jour magnifique fut un jour où je dérangeais par ma présence.
J'ai soif mais j'ai surtout faim, mon dernier repas remonte à 18 heures et j'ai utilisé toutes mes calories ingurgitées dans des pré-contractions. Je ne peux rien manger, je ne peux rien boire, en fait, je n'ai droit à rien, c'est simple. J'ai la gorge sèche et j'en ai marre, je veux rentrer chez moi. J'ai mal et je dérange. Je suis toute seule depuis quelques heures, une infirmière rentre, prend un truc, me regarde à peine et s'en va. Je finis par craquer, je pleure. Une infirmière rentre à ce moment là et, face à sa tête qui me fait clairement comprendre "Qu'est ce qu'elle a à chialer cette gamine?!?", je sèche mes larmes et m'excuse.
Durant toute cette longue attente avant la délivrance, un étudiant entre, me pose quelques questions, me touche, me remercie et s'en va. S'en vient un autre qui me fait le même cinéma. Je comprends très vite que durant ma présence dans cette salle, mon corps ne sera plus le mien. J'accepte chaque personne qui entre. Je ne dis rien lorsqu'on me touche. J'attends. Mon corps n'est plus à moi de toutes façons.
Une infirmière perce ma poche des eaux. J'ai l'impression de me faire pipi dessus. Je suis rouge de honte, très mal à l'aise. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans mon corps, je ne comprends pas, mais comme on décide pour moi, comme on fait tout sans m'expliquer, je ne dis rien, je fais confiance. Après tout, elles savent mieux que moi ce que je dois faire. Elles ont l'habitude.
Face à mes grimaces lors des nouvelles contractions et après avoir prit soin de vérifier mon col, on me propose une péridurale. Je l'accepte. Petit tour aux toilettes avant ça.Un anesthésiste arrive quelques temps après. Mon premier sourire depuis que je suis là. Il prend soin de m'expliquer ce qu'il va faire. A nous deux, nous attendons qu'une contraction passe, je fais le dos rond, il m'endort localement et enfonce son énorme aiguille. Je ne sens rien. Je pense que j'ai tellement mal à cause des contractions qu'on pourrait bien me casser le bras là à vif que je ne dirai rien. L'anesthésiste m'explique comment fonctionne la pompe et me la donne en main. Devant mon hésitation, il me propose de cliquer le premier sur le bouton. Je sens le liquide dans le dos puis je ne sens presque plus rien. Merci précieux docteur, je vais enfin pouvoir me reposer. J'en ai besoin. Il s'en va. Je pleure à nouveau mais de soulagement cette fois.
Quelques heures plus tard, soit vers 14 heures, tout va très vite. Le col est totalement effacé. Les infirmières se pressent autour de moi. Quelques étudiants assisteront à l'accouchement. Je l'ai accepté et je pense même qu'au point où j'en suis, le pape ou un car scolaire peut même venir.
On m'explique enfin quelque chose : Dès que j'ai une contraction, je pousse. Ok, cela ne va pas être bien compliqué. Je ne ressens plus de douleur mais je ressens un pincement dans le ventre. Donc dès que ça pince, je pousse. Je devrais être capable de faire ça, non ? Je ne sais pas comment pousser mais j'improviserai, et si ça ne plaît pas j'essaierai une autre façon. J'y arriverai. Je ne veux pas décevoir, moi la gamine, je veux y arriver.
Ça pince, l'infirmière regarde le monitoring et me confirme une contraction. Je pousse comme un bon petit soldat et je bloque jusqu'à ce qu'on m'autorise à enfin relâcher et me reposer jusqu'à la suivante. On parle d'épisiotomie, je dis que je n'en veux pas, je préfère que ça se déchire au besoin mais je ne veux pas de coup de ciseaux. C'est peut être le seul moment où je dirai quelque chose depuis que je suis là mais je sais que ça je ne veux certainement pas. Seconde contraction, je pousse, je bloque et... Tout va très vite. Loulou est dehors.On me le pose dans les bras tout plein de sang et de cette substance blanche inconnue. Je ne sais pas si c'est normal tout ça mais je suis fatiguée et je suis contente d'enfin rencontrer mon fils.
Une infirmière me dit que j'ai le corps pour être enceinte. Un bassin bien large, merci les années d'équitation. Et pas eu besoin d'épisiotomie, je n'ai que trois points de suture. On m'enlève mon fils et je le regarde subir toute une batterie de tests avant d'être habillé pendant qu'on me recoud après que le placenta soit sorti. Heureusement pour moi, l'amie péridurale fait encore effet parce que je remarque que le docteur fait ça à vif sans même se soucier du fait justement de savoir si je sens quelque chose.
On me fait passer sur un autre lit. Je ne sens toujours pas mes jambes du coup on attrape les draps et on me tire jusque l'autre lit. On me place Loulou dans les bras, direction notre nouvelle chambre.
Première tétée. Heureusement que ma maman est là pour m'aider, me guider, me conseiller. Je suis seule livrée à moi-même. Aucune infirmière ne vient m'expliquer. Mon fils s'énerve et donne de grands coups de gencives dans le sein. J'ai les seins vraiment sensibles, je les ai toujours eus mais là c'est plus fort encore. Encore deux ou trois tétées et je saigne. Je suis seule à présent, seule avec mon sein qui saigne et qui me fait mal. Seule avec mon fils qui pleure. Je suis fatiguée, je n'ai toujours pas dormi depuis hier 8 heures du matin. Il est passé 16 heures. Je n'en peux plus. J'appelle l'infirmière et lui explique mon problème de sein sanguinolent. Elle regarde, me dit que je ne sais pas m'y prendre, me place mon fils. Ça ne va pas mieux. Elle s'énerve et me traite de douillette et s'en va. Je ne dis rien. Je me suis cassé le bras d'une violente chute de cheval, je me suis relevée et j'ai voulu remonter aussitôt, mais je suis douillette. Un camarade de primaire m'a explosé la tête sur un banc, j'ai été suturée à vif à la lèvre, mais je suis douillette. Oui, je dois être vraiment douillette.
L'infirmière revient avec un comprimé. Elle me le tend et me dit que ça va m'aider. Je lui fais confiance, je le prends et l'avale. Je reçois un biberon pour nourrir mon fils. Je me dis que ce comprimé va m'aider à ne plus avoir aussi mal aux seins, ou alors au moins il va arrêter les saignements. Je ne sais pas ce qu'est ce comprimé mais si l'infirmière me l'a donné c'est que c'est pour mon bien. J'en aurai un second à prendre plus tard. Je le prendrai bien docilement. Je préviens ma maman de venir avec le tire-lait, on va tenter comme ça mais je tiens à donner mon lait à mon fils. Ma maman plus tard, on essaie au sein et ensuite le tire-lait puis en discutant, je lui dis que j'ai reçu un comprimé et que là je viens de prendre le second. Elle se renseigne et apprend que cette infirmière m'a donné un médicament pour arrêter les montées de lait. Voilà, elle a décidé pour moi.
Je sortirai un jour plus tôt n'en pouvant plus de tout cet enfer. Je vais me débrouiller toute seule.Quitte à faire des erreurs. Je préfère encore ça à rester ne fus qu'un jour là-bas.
Lorsqu'on me parle de grossesse, d'accouchement, d'enfants, on en vient toujours à me demander "Et toi, c'est pour quand le deuxième ??". Certains se sentent même obligés de me préciser que j'ai intérêt à me dépêcher puisque mon fils a déjà 10 ans. C'est bien gentil mais moi, je ne peux pas envisager un accouchement-bis. Je préfère m'occuper de mon fils, vivre pleinement mes petits moments de bonheur avec lui et pouvoir lui assurer un avenir, peu importe les études qu'il souhaitera faire. Mais faire un second bébé, je ne pourrai pas. Même en sachant tout ce que j'ai à présent, je ne pourrai pas.