Hemigamie. Ch1, p5

J'ai donc pris des cours d'art dramatique. Enfin, pour être plus précis, j'ai pris un cours d'art dramatique. La quiche qui nous servait de prof devait avoir au moins soixante-dix ans. Et si elle ne les avait pas, elle les faisait, avec ses poils sur le menton, et ses fringues de poule de luxe achetées au supermarché discount. Si elle jouait un rôle, il valait mieux qu'elle change.

Elle n'avait jamais reçu de récompense, même pas un obscur prix pour les meilleurs dialogues d'un film muet. Pourtant elle prétendait m'apprendre comment être quelqu'un d'autre ! À moi ! Comme si je ne savais pas comment faire !

En plus de ça, elle prétendait me l'apprendre en me faisant faire le chien. Elle me demanda d'emblée de me mettre à quatre pattes, d'aboyer, de tirer la langue en haletant et de lever la jambe pour pisser contre un arbre qui n'avait ni racines, ni tronc, et pas de feuillage non plus. Son théâtre était si pauvre qu'elle ne pouvait même pas acheter un faux arbre en carton !

Un régisseur, ou bien un clodo, car je n'ai pas eu le temps de vraiment faire attention, m'a jeté dehors quand j'ai commencé à secouer la prof un peu trop fort en la tenant par le col de sa veste en faux cuir.

Non mais, vous comprenez ça, vous ? Cette tête de lard voulait que je sois quelqu'un d'autre, que ça fasse vrai, et quand je lui ai montré comment on s'y prenait, elle a hurlé comme une truie qu'on égorge. Vous parlez d'une prof de comédie !

C'en était plus ou moins terminé de ma carrière d'acteur vedette, même si dans un coin de ma tête il m'a semblé qu'une petite voix aiguë me disait qu'un jour ou l'autre je pourrais bien avoir à faire une autre démonstration de mes talents innés pour les jeux de rôles. Cette petite voix n'avait pas encore de prénom à cette époque.