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Ne pas se laisser intimider

Publié le 09 juin 2015 par Bobo Mademoiselle @bobo_mlle

Ne pas se laisser intimiderC'est la canicule, une brume de chaleur s'est abattue sur la ville et pourtant, ce n'est pas le moment de mollir, non non loin de là. Il est temps d'appliquer un conseil que tous ceux qui ont fait un jour leur job-out ou qui sont en phase de transition s'entendent un jour ou l'autre répéter : celui de sortir de sa " zone de confort ". Halte aux vices : il s'agit d'arrêter de s'abrutir devant la saison 2 de True Detective en streaming et de remiser toutes affaires cessantes ce paquet de Pim's dans le placard de la cuisine.

Sortir de sa zone de confort ne se limite pas seulement à se lever vaillamment de son canapé, loin de là. Il faut aussi sortir de son intérieur douillet et partir à la rencontre du monde et par " monde " j'entends " les gens ", " les influencers ", toute personne qu'il sera bon de brosser dans le sens du poil pour entretenir de bonnes relations, sait-on jamais. En d'autres termes, quand on veut relancer sa carrière professionnelle, tout le monde te le dira, il est utile de " réseauter ".

Et là, c'est le drame, car, ami lecteur, je ne sais pas ce qu'il en est de toi, mais il se trouve que moi, je suis une quiche en réseautage. Non, ce n'est pas parce qu'on prend plaisir à séduire un fidèle public de (cinq) lecteurs avec humour sur la toile qu'on est nécessairement quelqu'un d'avenant, dont la répartie, à la fois facile et brillante, éblouirait le tout venant (maintenant si c'est comme cela que tu m'imagines, surtout ne change rien). C'est un point que nous avons déjà évoqué, je suis quelqu'un de sinistre, à la répartie facile, certes, mais pas toujours brillante. Et pas avec tout le monde.

Pas politiquement correcte pour trois sous, il m'arrive, face à certaines personnes - celles qui me laissent indifférentes ou qui, en tous cas, ne m'intimident pas - de souffrir d'incontinence verbale et de laisser échapper ce qui serait préférable de laisser décanter au fond de ma tête. J'ai pris pleinement conscience de cet état incontrôlable quand, il y a neuf ans, j'ai presque insulté mon supérieur hiérarchique sans trop m'en apercevoir. C'est lui qui a commencé puisqu'il se demandait combien d'années représentait " un lustre " dans l'expression " ça fait des lustres " (ami lecteur, admets que pour ce genre de questions, cette personne ne devrait avoir droit qu'à notre mépris). Un collègue, cherchant manifestement l'augmentation, a alors répondu, sûr de lui, que sans aucun doute " un lustre égal cinquante ans ". Rapide calcul sur ses dix doigts gourds, mon supérieur s'est alors écrié, presque content, qu'il ne lui restait donc plus que trois ans pour devenir un lustre ! Et moi de rétorquer sans réfléchir dans l'euphorie générale du moment : " à défaut d'être une lumière " (True story). S'en est suivi un silence pesant et c'est en catimini que je suis retournée dans mon bureau, le long du cimetière, un œil sur mon budget, un autre sur emploi-cadre.fr.

J'avoue que j'éprouve une certaine fierté à te raconter cette anecdote qui devrait plutôt me faire rougir de honte. Et pourtant, je préfère nettement cette spontanéité-là (qui aurait pu être prise comme un trait d'humour)(mais de nos jours, les lustres en manquent cruellement) à cette timidité maladive qui m'envahit quand, face à d'autres personnes, je me retrouve totalement en carafe, dans l'incapacité totale de prononcer le moindre mot (ou même d'esquisser le moindre sourire).

Il y a quinze jours, je sors physiquement de ma zone de confort pour aller m'enfermer pendant neuf heures dans un Boeing 757 de la Delta Airlines, assise en biais pour que mes genoux ne cognent pas contre la tablette du siège de devant (et je ne te parle pas du plateau repas - distribué par une hôtesse qui passait avec peine dans le couloir - qui m'a fait regretté le paquet de Pim's que j'avais remisé dans le placard de la cuisine). Je décide donc de partir à la conquête de Manhattan, en parsemant mon séjour de quelques rendez-vous en tous genres, dont quelques uns professionnels. L'idée n'était pas de trouver un travail à New York (quoique...), il ne s'agissait pas de mendier un job, ni même de semer des CV, mais tout simplement de se faire connaître, de réseauter en passant un agréable moment de convivialité.

Sauf que voilà. Il y a eu le rendez-vous de trop : celui au cours duquel je me suis laissé intimider. Je me rendais à une conférence où se trouvaient quelques personnes dont je voulais faire la connaissance. Arrivée trempée, sous une pluie battante, je me suis installée au fond de la salle et me suis connectée au WIFI pour consulter rapidement la fiche wiki de ces différentes personnes que je m'apprêtais à rencontrer. Erreur. Grave erreur. A peine plus âgé que moi, ce type-là avait déjà atteint les objectifs que je n'ose même pas me fixer pour la fin de ma vie. De par ses différentes activités (un touche-à-tout, un winner de la pire espèce), il semblait être quelqu'un plein d'humour et, à l'entendre parler, il paraissait même faire preuve de simplicité et d'humilité. Un laidron boutonneux, me diras-tu. Eh bien même pas : un gendre idéal, qu'on aurait bien vu remporter la finale de Roland Garros rien qu'en lui mettant un short blanc et un polo Lacoste. Alors évidemment, j'ai beau tout faire ces derniers temps pour limiter à l'os les questionnements stériles, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander incessamment ce que je pouvais honnêtement dire à ce type-là qui n'ait pas l'air niais. Dans le doute, mieux vaut la boucler, ai-je conclu. Alors je suis restée là, muette comme une carpe, incapable de trouver le créneau opportun, la phrase choc ou de laisser libre cours à mon incontinence (qui, de toute façon, m'avait lâchement abandonnée)(on ne peut décidément compter sur personne).

S'en est suivie une nuit blanche qui aura au moins eu le mérite de me remettre du décalage horaire (comme quoi, derrière toute défaite se cache une réussite). Alors, ami lecteur, pourquoi je te raconte tout ça, oui POURQUOI. Eh bien parce que je suis sûre que ça t'est déjà arrivé à toi aussi (je t'en supplie, dis moi que ça t'est déjà arrivé à toi aussi) et que je m'en voudrais de te laisser vivre seul un tel moment de désarroi. Et puis parce qu'au cours de cette nuit sans sommeil, j'ai réussi à relativiser. Ça n'est pas la première fois que ça arrive et ça n'est peut-être pas la dernière mais ce n'est pas une raison suffisante pour se jeter la pierre. Je ne me suis pas sentie légitime à prendre la parole ce jour-là et dans ces circonstances-là, mais ça ne veut pas dire que je ne le suis pas dans l'absolu. Bref, pour conclure, je paraphraserai ce remarquable chanteur (dont la puissance des textes n'a d'égale que la patine des cheveux) : " n'attendons pas que la mort nous trouve du talent et aimons-nous vivants. "

(Ami lecteur, avec ce genre de références, avoue que j'ai bien fait de me la boucler, non ?)


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