Ami lecteur, ce matin je suis très colère. Je me suis réveillée à l'aube avec une idée fixe : celle de m'attabler à midi tapante chez Gino Sorbillo pour y manger la meilleure pizza Margherita du monde (la pizza est ma deuxième obsession après le Pim's et je ne souffrirai aucun commentaire sur mon régime alimentaire)(cela dit, pour te rassurer, sache que j'entretiens aussi une passion pour le poireau et le chou de Bruxelles). Depuis une semaine, je me réjouis de ce bref séjour à Naples qui ne devait durer que 36 heures chrono. Mon avion étant annoncé avec quatre heures de retard, il ne me reste plus que 32 heures : si ça continue, je vais devoir sérieusement rogner sur les pauses gastronomiques chez Gino.
Des tyrans, j'ai eu l'occasion d'en croiser un certain nombre, que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle, et toi aussi j'en suis sûre. On reconnait le tyran à sa capacité à t'imposer quelque chose que tu n'as pas choisi et qui, à première vue, peut même te sembler injuste. Mais là où le tyran est très fort, c'est justement quand il arrive à te convaincre que ce quelque chose qu'il t'impose, c'est pour ton bien.
Le tyran est bien souvent quelqu'un d'excédé : la vie ne lui a pas fait de cadeaux, il n'y a à fortiori aucune raison qu'il en fasse à son tour. Excédé donc, il a tendance à élever la voix rapidement, à s'impatienter, à juger de façon définitive et radicale tout ce qui l'entoure. C'est quelqu'un d'entier qui ne connait pas la tiédeur : il adore ou il exècre souvent, mais il aime rarement. Il entend que, dans son sillage, tu partages ses passions et ses dégoûts, qu'il se plaît à te communiquer avec un langage faciale et corporel sans équivoque. C'est parce qu'un jour, alors que je savourais une délicieuse Margherita, un tyran de la pire espèce m'a expliqué, en grimaçant comme s'il souffrait de nausées, que la pizza " était nocive pour la santé ", " devrait être interdite le soir ", " et le midi aussi d'ailleurs " et que je ferais mieux de " ne pas y toucher " en tous cas " pas devant lui car ça le dégoutait ", que j'ai décidé de mettre entre moi et ce tyran un mur infranchissable. J'ai eu un mal de chien à digérer ce déjeuner, et pas à cause de " la levure qui fait gonfler ", de " la mozzarella pleine de gras " ou de " la sauce tomate qui crée de l'acidité " (le tyran aime faire croire qu'il en connait un rayon) mais plutôt parce qu'il y a des choses sacrées auxquelles on ne touche pas : la pizza et le Pim's en font partie.
Et puis il y a ma liberté aussi. Ami lecteur, soyons clairs : si le tyran a tenté farouchement de me faire renoncer à cette pizza, c'était davantage pour le plaisir de m'influencer que de m'épargner des problèmes gastriques. Et c'est d'ailleurs à ça qu'on reconnait le tyran : il t'use les nerfs jusqu'à ce que tu cèdes dans le seul but d'en retirer une satisfaction personnelle, celle d'avoir de l'ascendant sur toi. Alors pour la défense du libre arbitre, la protection des convictions et des préférences individuelles, ami lecteur, il est important que tu saches reconnaitre un tyran et que tu te soulèves contre lui (de préférence avant d'avoir ingurgité une pizza napolitaine).
Mais quel est le rapport entre mon attente interminable dans une salle d'embarquement et un tyran, me diras-tu ? En réalité il n'y en a aucun. Certes, les hôtesses au comptoir d'embarquement sont épouvantables, surtout quand elles tentent de te convaincre que le bon de 4,50 euros - que " la compagnie aérienne est heureuse de t'offrir pour te dédommager " - te permettra de bénéficier d'un " savoureux moment de détente " dans l'un des restaurants de l'aéroport. Oui, elles sont excédées et cassantes dans leur façon de t'annoncer des retards à répétition (j'imagine qu'elles préfèrent ne pas avoir à en discuter pendant des heures)(comme si les passagers, eux, ne rêvaient que de ça). Mais la seule chose qui justifie vraiment qu'aujourd'hui je les associe à des tyrans, c'est qu'elles sont en train de me faire louper la pizza de ma vie avec un je-m'en-foutisme insolent. Et ça, qu'on le veuille ou non, c'est révoltant.