Hemigamie. Ch1, p6

Les mois de ma vie se succédèrent, toujours dans le même ordre. Comme c'était monotone ! Septembre cédait sa place à octobre, qui n'avait jamais rien demandé. Mars suivait toujours février, qui restait encore et toujours le mois le plus court de l'année. Non pas parce qu'il y avait moins de jours, mais parce qu'il y avait moins de nuit ! Que du réchauffé, du banal, du sûr !

Puis ce furent les années qui défilèrent sur le calendrier de mon existence sans qu'aucune occasion nette ne s'offre à moi d'accomplir l'exploit qui mettrait mon nom dans la bouche du tout Paris. J'y mis pourtant du mien. À défaut, je fis de mon mieux pour rester dans la course, et pour mettre autre chose dans la bouche de quelques filles venues du monde entier. Au moins, je n'ai pas de regrets de ce côté là. Les capotes coûtaient chères bien sûr, mais par un miracle que je ne m'explique pas, je quittai l'école séronégatif et je le restai tout au long de ma vie.

D'un autre côté, à cette époque, les pédés, les drogués et tous ceux qui baisaient sans capotes morflaient beaucoup plus que les autres. Alors...

Et oui ! Quand on joue avec le feu, parfois on se mouille. J'étais donc triplement à l'abri.

En ce qui concerne le boulot, je n'étais pas foncièrement paresseux, pourtant je n'ai jamais pu garder un travail très longtemps. Pour des raisons qui restèrent mystérieuses pendant bien des années, je parvenais toujours à me mettre à dos assez rapidement les collègues, ou même le patron quand le patron n'habitait pas Singapour ou Sydney.

C'était presque devenu un jeu. Je pariais avec moi-même le temps qu'il me faudrait pour être viré, ou pour démissionner. Je n'étais pas vraiment malheureux. En fait, je n'étais pas malheureux du tout puisque cela signifiait que je ne me laissais pas marcher sur les pieds, et que j'avais de la personnalité. J'avais même beaucoup de personnalité. Certains diront que j'en avais trop, et ils auront raison.