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Loi C-51 : les droits humains pourront être bafoués si la sécurité nationale est en jeu

Publié le 14 juin 2015 par Jean-François Dagenais @lesinjustices
Aujourd'hui, j'ai décidé de publier une lettre ouverte de la directrice générale d'Amnistie internationale, section Canada francophone, diffusée au grand public. Elle concerne la nouvelle loi C-51 adoptée par le Sénat le 6 mai dernier sur la lutte au terrorisme.
Loi C-51 : les droits humains pourront être bafoués si la sécurité nationale est en jeuLe gouvernement a tout mis en œuvre pour faire adopter le projet de loi C-51 à la hâte, avant que la Chambre n’entreprenne sa pause estivale. Ce projet, qui donne lieu à une des plus grandes réformes du système de sécurité nationale au Canada depuis 2001, a été adopté hier par le Sénat.
Quel fiasco ce parcours. Quel danger cette loi.
Le droit à la vie privée
Les réactions négatives ont fusé de toutes parts : les nouveaux pouvoirs, règles de procédure et infractions criminelles inscrits dans cette loi vont trop loin. Trop loin pour la liberté d’expression, le droit de manifestation pacifique, le droit à la vie privée, le droit à un procès juste et équitable... 
Encore des brèches à nos engagements envers les droits humains, alors qu’il a été démontré que ce faux choix – sécurité ou droits humains — ne nous garantit pas plus de sécurité.
Malgré toutes les voix expertes dissidentes, dont celles d’Amnistie internationale, qui ont réussi à inverser le soutien du public envers cette loi en documentant ses dangers, le gouvernement est resté sourd.
Le seul amendement notable a été de définir que toutes les formes de revendication, manifestation, dissidence ou expression artistique seront exclues du nouveau système de communication d’information, d’une ampleur jamais vue au Canada.
Les modifications apportées ne s’appliquent toutefois pas aux nouveaux pouvoirs sans précédent accordés au SCRS (service canadien du renseignement de sécurité) dans le but de réduire le risque de menaces au pays. 
Le SCRS s’en tient à une définition restrictive lorsqu’il définit si les manifestations, revendications et dissidences sont « légales » et si elles seront considérées comme étant une menace à la sécurité.
Une loi inquiétante
Pourtant, le Code criminel indique que les actes de « manifestation, revendication, dissidence ou arrêt de travail » ne sont pas considérés comme des infractions criminelles. 
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les dispositions prévues à cette nouvelle loi sèmeront la confusion, et ouvrent la voie aux décisions discrétionnaires.
Les nouveaux pouvoirs accordés au SCRS en matière de réduction des menaces figurent au premier rang des préoccupations; il n’en existe aucune définition claire, si ce n’est qu’ils n’autorisent pas les atteintes à la vie et à l’intégrité sexuelle, les lésions corporelles et les entraves à la justice. 
Les nouveaux pouvoirs peuvent même violer la Charte en obtenant un mandat judiciaire pour les appliquer. On demande donc impunément aux juges qui les délivreront de ne pas tenir compte des autres lois, incluant celles qui régissent les activités du SCRS.
Une autre source d’inquiétude demeure la nouvelle infraction criminelle que constitue la promotion d’actes terroristes – actes qui ne sont pas non plus définis. Cette clause, beaucoup trop vague, a une portée démesurée qui portera atteinte à la liberté d’expression.
Pourtant la liste des infractions qui criminalisent l’assistance, la menace, la planification et la conspiration en vue de perpétrer un acte terroriste est déjà longue.
Amnistie internationale s’inquiète du nouveau système de communication d’information qui devient tentaculaire et ne trace aucune balise pour s’assurer que ne seront pas partagées des informations inexactes, non pertinentes ou incendiaires.
Les détentions préventives et les arrestations sans motif valable sont très préoccupantes – jusqu’à 7 jours ! — ainsi que les recours d’appel limités pour les personnes dont le nom se retrouve sur les listes d’interdiction de vol.
Il est crucial de continuer à dénoncer cette loi. Elle laisse croire à tort que les droits humains peuvent être bafoués lorsque la sécurité nationale est en jeu.
Vivre dans le respect des obligations en matière de droits humains est le meilleur gage de sécurité dont peut se doter un pays.
La lutte au terrorisme permettra de voir en tout canadien un criminel potentiel.
Béatrice VaugranteDirectrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone

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