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Chaleurs funestes - 27/28

Publié le 12 octobre 2009 par Cathgenin

Pour la première fois depuis son arrivée à la Grangerie, Inès remarqua que les abeilles avaient perdu de leur vivacité depuis le milieu de l'après-midi. Les abords de la terrasse périgourdine étaient devenus silencieux, comme si les insectes aussi pouvaient être abattus, chagrinés, muets par trop de révélations en si peu de temps. Engourdie et féline, la Rouquine vint se frotter contre les chevilles d'Inès. Elle dégageait une délicieuse odeur de romarin mêlée à celle de la menthe, preuve d'une station prolongée dans la plate-bande d'herbes aromatiques !

Assise dans l'encadrement de la porte de la cuisine, Inès passa la main dans les graines qui s'échappaient comme du sable entre ses doigts. Elle revivait des sensations enfantines, du temps où ses parents possédaient une maison de campagne ; elle tendit la main vers un géranium rouge vermillon, en arracha les pétales et les colla sur ses ongles, comme elle avait coutume de le faire 30 ans plus tôt. Un moineau audacieux s'aventura dans la cuisine et Inès se revit déverser une boîte de sel dont l'image publicitaire était celle d'une fillette vidant une salière sur la queue d'un malheureux oiseau pour le capturer. Elle caressait la Rouquine et se souvenait de son frère qui lançait le plus haut possible une pauvre chatte de gouttière répondant au nom saugrenu de Moussette pour voir si elle retombait toujours sur ses pattes comme l'affirmait la légende.

Elle repensait aux gamins qui lui proposaient des chasses au Dahu ! La petite communauté villageoise et ses meneurs les plus espiègles n'avaient pas toujours l'occasion de renouveler ce type de farce régulièrement. Il fallait que le hasard soit favorable en ramenant dans leurs filets un " étranger ", un visiteur de la ville et Inès en avait fait les frais. Elle s'était sentie stupide, ridiculisée et n'osait plus croiser le chemin de ceux qui avait profité de sa crédulité. En parlant de " nigauderie ", son père avait porté le coup fatal et Inès s'était jurée de ne plus jamais faire partie du monde des victimes.

On peut imaginer que la morale que tire inévitablement toute victime d'une chasse au dahu soit assez proche de la formule de Petit Gibus dans la Guerre des Boutons : " Si j'avais su, j'aurais pas venu " ou si l'on préfère celle du Corbeau de la Fontaine qui, " honteux et confus, jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus ".

Elle l'avait été, bien que le gris et le noir s'en fussent mêlés et elle tenait à ce qu'elle le fut encore.


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