Pascal Ferret, entretemps, s’est mis au thé vert.
Toutes les femmes qui ont connu Pascal Ferret « selon la Bible », et cela fait un club, se rappellent que l’ancien chroniqueur tous azimuts du Quotidien, sous ses airs intraitables, a le cœur tendre et la main douce.
Lorsque le vaillant Enée dit à ses compagnons que la peur gagne, durant l’effroyable tempête que se rappellent la lectrice et le lecteur, Forsan et haec olim meninisse juvalit, à savoir « Peut-être un jour trouverez-vous du plaisir à vous rappeler même ces choses-là », le poète suggère, comme pourrait le faire le romancier à propos d’un épisode tragique où Pascal Ferret joua l’un des beaux rôles, que notre joie, à l’épreuve du temps, est plus forte que le pire malheur.
Or cette question de la guérison par le temps,impliquant d’insoupçonnées ressources de résistance intérieure, non moins importante que l’usage abusif du lignite ultra-polluant par l’industrie gazière, pourrait également faire l’objet du prochain entretien du Shadow Cabinet, prolongeant les échanges épistolairesrécents du Monsieur belge et du Marquis sur les mêmes sujets.
Au lieu de parler du mensonge, constituant une donnée essentielle de la Realpolitik ou, plus vulgairement parlant, du cynisme de plus en plus affiché dans la sphère mondialisée, les compères du Shadow Cabinet parleront plus volontiers aujourd’hui, après s’êtres régalés du frichti de la Maréchale (une chorba aux langues d’oiseaux suivie d’une tchaktchouka aux boureks de poulet, arrosées du meilleur Magon), de ce que l’écrit préserve entre les amis non sans illustrer, par leur façon même de pratiquer la libre conversation, ce que l’oralité moduleà visage découvert et dans la spontanéité, contre les faux semblants et le mensonge pesant aux cœurs et aux âmes.
Olga aurait des choses à dire à ce propos, mais le Shadow Cabinet, on s’excuse, et à l’exception de la Maréchale toujours en retrait dans le sanctuaire odorant de sa cuisine, reste essentiellement masculin, en tout cas dans sa forme instituée par la coutume. Nul sexisme en cela d’ailleurs : juste un relent de vieux club colonial, ou de chambrée militaire, ou de fumoir monacal, lors même que le Marquis et Pascal Ferret, autant que Jonas et Théo, sans parler de Christopher qui échappe par excellence à tous les genres tout en préservant la magie des connivences viriles – autant dire tous les personnages fréquentables de ce roman ont assez d’éléments féminins en eux pour couper court aux accusations de pesant machisme.
Or imagine-t-on, par contraste, le Tout Vieux Monod se pointant derrière le moucharabieh ?
Considérations supplémentaires sur le caractère androgyne du roman : Une romancière géniale est-elle forcément une virago ou une vestale du culte de Sappho, et le genre a-t-il quoi que ce soit à voir avec les qualités particulières de tel ou tel ouvrage de fiction littéraire ? William Shakespeare fait-il preuve de réductionnisme en assignant à Juliette et Roméo des rôles conformes à la détermination des sexes séparés, et la paire fameuse du Quichotte et de Sancho préfigure-t-elle la pseudo-rupture à venir du roman gay ? À de telles questions, gravement abordées par certaines ligues de vertu plus ou moins influentes, les compères du Shadow Cabinet ne s’attardèrent pas sauf pour en rire, alors que le romancier en tira, pour sa part, des observations confortant sa conviction selon laquelle tout roman est foncièrement hermaphrodite et, loin d’exclure les cas de figure opposés, peut se montrer aussi violemment hétérophile que parfois homophage, tout à fait étranger à toute morale courante dans certains cas (à vrai dire rarissimes) ou au contraire corseté pour la galerie et très curieux, voire bicurieux, dans la vie secrète de ses protagonistes, étant entendu que les contradictions, les tiraillements entre sexes et classes, races et générations, les conflits de toutes sortes, loin de brider le roman, le stimulent au contraire et en enrichissent les ressources de comique et de profondeur, ainsi que l’illustre la floraison réjouissante des ouvrages de qualité sous le règne du puritanisme le plus étroit ou des inquisitions les plus révoltantes. S’agissant du roman en cours, l’on y constatera l’absence flagrante de toute scène chaude explicite, au sens convenu, le romancier étant de l’avis que l’usage actuel de la webcam supplée largement à l’ancienne fonction stimulatrice des romans et autres feuilletons à-lire-d’une-main. Que la lectrice et le lecteur se rassurent cependant :il devrait quand même y avoir un peu de cul dans les pages qui suivent, n’était-ce qu’à l’état de projection onirique ou d’illustration comique, voire de rapport sociologique sur le terrain. Les fantasmes de Nemrod l’obsédé y pouvoiront en outre en 3D.
(Extrait d'un roman en chantier)