Il y a plusieurs façons de se laisser aller, des bonnes et des moins bonnes.
J'ai attaqué cette semaine avec une multitude de projets en tête : finir mon Vargas Llosa, inviter quelques copains à dîner, aller à mon cours de yoga, partit tôt le matin à la plage (oui, car il y a une plage à quelques minutes de chez moi) et puis d'autres choses, professionnelles elles, mais néanmoins stimulantes. Bref, je pensais m'être définitivement débarrassée du blues du dimanche soir tant j'étais impatiente d'attaquer la semaine. Preuve en est que l'optimisme ne sert à rien.
Le lundi est passé comme une lettre à la poste : quelques joyeux imprévus ont ponctué cette journée qui finalement s'est conclue aussi bien qu'elle avait commencé. Pas de huitième lecteur encore mais après tout on ne peut pas tout avoir, m'étais-je raisonnée : s'il avait fait son apparition, j'aurais été capable d'éclabousser mes convives de tout ce bonheur, alors non, mieux valait étaler dans le temps les occasions de se réjouir.
Et puis minuit a sonné et nous sommes passé à mardi. Le 16 juin était le jour de la nouvelle lune. Ami lecteur, au moment de la nouvelle lune, il n'y a tout simplement pas de lune donc aucune source lumineuse naturelle : il en résulte que le ciel est d'un noir de plomb. Pour peu que tu habites dans une ville comme la mienne, tu évolues dans une telle obscurité que tu en viens à te demander si la mairie ne serait pas en train de faire des économies sur l'éclairage public. Je suis rentrée chez moi à tâtons, guidée par l'étoile du Berger et, comme on aurait pu s'y attendre, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Je me suis réveillée les paupières lourdes, la bouche pâteuse, en maudissant les changements de pression atmosphérique et le phénomène des marées. S'en est suivie une journée de chaud-froid, passages nuageux et soudaines éclaircies, orage de grêle et arc-en-ciel à couper le souffle. Rien de tel qu'une météo capricieuse pour assigner à résidence une météopathe telle que moi, envahie d'une irrépressible torpeur et incapable de savoir comment s'habiller. C'est là que j'ai commis l'irréparable : je me suis allongée sur le canapé.
Plus que m'allonger sur le canapé, j'ai fait corps avec lui. Au départ, je ne m'y étais installée que pour une trentaine de minutes - le temps de finir le chapitre XV de cet interminable Vargas Llosa. Je me suis réveillée deux heures et demie plus tard, le visage bouffi, un filet de bave au coin des lèvres et les trois premières lignes du chapitre XV imprimé sur la joue gauche, ne sachant plus très bien ce qu'il convenait de faire puisque j'avais manifestement choisi de vivre cette journée en décalé par rapport au reste de l'humanité. Ami lecteur, tu as forcément déjà vécu cette sensation (je t'en supplie, dis moi que tu as déjà vécu cette sensation) : si la sieste de vingt minutes est saine et réparatrice, celle de deux heures est tout simplement destructrice. Tu en sors désorienté, avec l'impression de peser une tonne et un immense sentiment de culpabilité. Pour ma part, je n'avais plus envie de rien, toutes mes bonnes résolutions de l'avant-veille me semblaient futiles et superflues. Alors, pour me redonner un peu de baume au cœur, j'ai rafraichi mes statistiques WordPress pour voir si mon huitième lecteur s'était enfin manifesté : toujours rien. Patience et longueur de temps feront de toi un homme, me dis-je.
Après une nuit agitée, je me réveille mercredi, fermement décidée à passer une journée aux antipodes de la précédente : une journée qui m'apporterait une once de satisfaction, histoire d'alterner. Sauf que mercredi il a plu toute la journée. Je suis restée cloîtrée, à lire, m'informer (et trop d'informations tue l'information, qu'on se le dise), à regarder par la fenêtre, à lire, à chercher des sujets de billets, à lire (sans parvenir à atteindre le chapitre XVI), à feuilleter des vieux magazines, et puis à bout de nerfs, par dépit, je me suis allongée quelques minutes sur le canapé. Ami lecteur, comme il est beaucoup trop douloureux pour moi de revenir sur les événements de cette fin de semaine - si tant est qu'on puisse les appeler des " événements " -, je laisserai le soin à ton imagination fertile de se figurer la suite. Passons donc directement au bilan de la journée de vendredi : à mon réveil (à 17h), il venait seulement de s'arrêter de pleuvoir et je n'avais toujours pas de huitième lecteur.
J'adorerais pouvoir te dire que, pendant mon sommeil, il m'est venu une idée lumineuse à l'origine de la prochaine success story de l'année, mais non. Il faudra bien l'admettre, les choses n'arrivent pas d'elles-mêmes et ce n'est pas en s'avachissant sur un canapé qu'elles accourront ; à l'instar de ce huitième lecteur qui n'a pas du tout l'air pressé d'arriver (un peu comme l'homme de ma vie qui ne brille pas par sa ponctualité)(si mon huitième lecteur pouvait aussi être l'homme de ma vie, je ferai d'une pierre deux coups, on perdrait tous beaucoup moins de temps).
Il va sans dire que les conditions météorologiques ont une part de responsabilité énorme dans cette déconfiture. Le temps devient fou, la planète se réchauffe, le climat se dérègle, créant - outre toutes sortes de catastrophes naturelles - un désordre comportemental préoccupant chez certains sujets. Pour résumer, comme dirait Pierre-Emmanuel Barré (que j'aimerais bien avoir comme huitième lecteur, inutile de le nier) : nous sommes dans une merde noire, mais nous ferons tout pour que vous passiez une bonne journée sur France Inter.
Et PEB a entièrement raison : plutôt que de s'autoflageller dans une situation déjà pas glorieuse, faisons le maximum pour passer une bonne journée. Dorénavant, je n'attendrai pas que ce fourbe de canapé me fasse de l'œil : je déciderai sciemment de m'y laisser aller confortablement. Si je n'ai pas l'impression d'avoir été prise en traître, ça ira forcément mieux après.