Hemigamie. Ch2, p3

Si je vous parle un peu de Sarah maintenant, c'est parce que je dois le faire. Même si je reconnais que ça tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Et puis j'imagine que vous vous demandez qui peut bien être cette femme qui monte dans mon camion, et qui squatte mon appartement sans y être invitée le moins du monde.

Et bien pour le moment, ce que je peux vous dire c'est que Sarah est une femme assez étrange qui m'a pourri la vie pendant des décennies sans que je puisse lui en vouloir. C'est aussi la seule femme qui a pu faire autant de dégâts sans vraiment avoir de bras ou de jambes bien à elle.

Pendant longtemps elle n'exista que par ces absences et ces trous noirs dans mon emploi du temps, que je ne pouvais pas m'expliquer. Je ne parle pas des trous noirs de quelques minutes qui font qu'on se demande ce qu'on est venu faire dans la salle de bain en tenue de Mickey, ou bien alors ce qu'on a pu faire de son pistolet.

Je ne parle pas non plus de ces trous de mémoire qui font qu'on se demande, avec un mal de tête carabiné et une folle envie de pisser, comment on a bien pu fourrer son machin à l'intérieur de la femme qui bouge encore à ses côtés, et dont l'haleine sent encore plus l'alcool que la vôtre. Ou pire encore, ce qu'on a bien pu promettre au canon totalement nu qui se courbe comme un magnifique serpent et vient se serrer contre soi en ouvrant la bouche comme pour quémander un baiser ou autre chose.

Non, moi je parle d'absences qui obligent à se demander comment, par exemple, tout en étant resté sobre comme un chameau, on a bien pu se mettre dans un état pareil à trois cents kilomètres de son appartement, la lèvre bien fendue, des bleus un peu partout et une arcade sourcilière éclatée.

Ou encore ces blancs qui font qu'on trouve une liste de noms bizarres dans son porte-feuille avan t de se rende compte avec surprise, et quand même une certaine dose de suspicion puis de panique, qu'il s'agit d'hormones que des mecs s'injectent pour se transformer en femmes.