En Inde, que l’on soit un touriste ou un local, on est amené à prendre beaucoup de taxis et/ou de rickshaws (« touktouk » pour les touristes, « auto » pour les autres). C’est pas cher, ils sont partout, ça permet d’éviter d’avoir à galérer pour se garer ou pour trouver son chemin. Y pas à tortiller, c’est pratique. Pas forcément bon pour le dos mais pratique.
LE problème c’est que les conducteurs des dits taxis ou rickshaws sont souvent perçus comme des voleurs. Qu’ils refusent de lancer le compteur, qu’ils oublient de le remettre à zéro, qu’ils vous baladent autour de la ville, ils ont mauvaise réputation. D’ailleurs il n’y a à peu près qu’à Mumbai que les « autos » mettent le compteur, voire ont un compteur pour commencer ; dans les autres villes, on est supposé connaître la distance à parcourir et le tarif approximatif, ce qui induit une discussion préalable à la course. L’exercice peut se révéler frustrant, irritant, et peut même conduire à décider de ne finalement pas sortir de chez soi ce jour-là. Pour toutes ces raisons, on a tendance à traiter les chauffeurs desdits véhicules comme des sous-hommes, des machines (prolongement de leur levier de manœuvre), dont on n’attend rien d’autre qu’une bataille (sur la route à prendre, sur le montant à donner) et une bonne dose de tape-cul. Les chauffeurs de taxi sont considérés comme encore plus roublards, d’où la croissance exponentielle du nombre de radio-taxis (rien que pour le plaisir de ne pas avoir à se prendre le pif).
Dans le quotidien rickshaw-boulot-dodo, c’est un peu comme dans le métro : les yeux pas en face des trous, on fait la gueule à l’arrière du l'auto. Le chauffeur, dont on a à peine identifié les traits (pas besoin, c’est une machine), ne pose pas les questions dont il régale d’habitude les touristes (« Tu viens d’où ? Tu fais quoi ? Tu aimes l’Inde ? »). Avec le code de politesse indien, on peut même zapper en toute quiétude les politesses d’usage : pas besoin de bonjour, de s’il-vous-plaît, de merci, et encore moins de sourire. Indiquer l’adresse au départ et lancer « baas » (assez, stop) à l’arrivée, et un balancement de la tête pour remercier suffisent.
L’étranger met également un point d’honneur à ne pas laisser de pourboire, vu que ce sont déjà des voleurs. Il peut donc perdre un sacré paquet de temps (en oubliant, c'est pratique, que le temps c'est de l’argent) pour une roupie ou deux. C’est une question de PRIN-CI-PEEUUUH. Et puis l’étranger blâme tous les autres blancs qui ne suivent pas ses PRIN-CI-PEEUUUH, donnant de ‘mauvaises habitudes’ aux chauffeurs indiens, leur inculquant l’idée qu’il est un dollar sur pattes à qui il est facile d’extorquer plus que le nécessaire. Il est donc d’autant plus nécessaire d’appliquer ses PRIN-CI-PEEUUUH strictement.
J’étais comme ça pendant longtemps. J’ai fait de ces scènes pour cinq roupies ! Et puis un jour, j’en ai eu assez, j’ai recommencé à dire « merci » aux chauffeurs, et à arrondir les montants (bon, sauf dans les cas où ils me font chier pour une raison ou une autre), voire même à leur sourire… Et si je ne suis pas trop fatiguée, j’essaye même un peu mon Hindi ! Plus souvent dans les taxis car les courses sont en général plus longues qu’en rickshaw. Et j’entends souvent des histoires assez dingues !
C’est pour cette raison que j’ai voulu partager cette note de ‘Humans of Mumbai’. J’ai découvert ce groupe un jour que je me baladais avec Junior dans le porte-bébé ; ils ont souhaité m’interviewer mais j’étais malheureusement dans un très mauvais jour et j’ai préféré décliner. Quoi qu’il en soit, je lis avec plaisir leurs notes quotidiennes, qui ré-humanisent un peu tout le monde… Y compris les chauffeurs !!
« L’autre jour un mec bourré s’est assis dans mon taxi et a commencé à me balancer des insultes à la tronche. Je n’ai pas bronché et je l’ai ramené chez lui sain et sauf à 4 heures du mat, mais j’étais très énervé parce que ça me prouvait à nouveau à quel point mon job est sous-apprécié. J’étais tellement dégouté que j’ai pensé tout laisser tomber et retourner à Chandigarh.
A ce moment-là, un autre client est monté et m’a demandé de l’emmener à l’aéroport. Même si il était tôt, il m’a demandé mon nom, d’où je venais et où je vivais à Bombay. A la moitié du trajet il a ouvert une boîte de sandwiches et m’en a offert un et quand il est descendu, il m’a souri et m’a donné 50 roupies de plus parce que 2 ou 3 chauffeurs de taxi avant moi avaient refusé de le prendre. C’est ça Bombay ; il y a tellement de mondes à l’intérieur que même si tu veux partir, tu ne peux pas. »
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