HuffPost Maroc | ParYoussef Roudaby
"Nous avons cru à une blague avant de dépêcher notre réseau à Inezgane et découvrir que ces deux filles ont été bel et bien arrêtées à cause de leur tenue", confie Fouzia Assouli, présidente de la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF).
Le 18 juin, le quotidien Assabah révélait l'affaire de deux jeunes femmes encerclées par une foule au souk d'Inezgane (près d'Agadir, dans le sud-ouest du Maroc) qui ont manifesté contre leur tenue jugée "contraire aux bonnes mœurs" et ont appelé la police judiciaire qui n'a pas tardé à les arrêter.
Les deux jeunes filles ont comparu devant le tribunal, qui a décidé de les poursuivre en état de liberté et a fixé la première audience de leur procès au 6 juillet. Leur "faute"?
Avoir simplement fait leurs courses en robe. Pourtant, le procureur a décidé de les poursuivre pour "outrage public à la pudeur", une infraction punie "de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 120 à 500 dirhams" selon l'article 483 du Code pénal.
Des victimes devenues coupables
"C'est scandaleux de les arrêter à la place des malfaiteurs qui les ont encerclées et agressées. Il s'agit ici de harcèlement sexuel et d'une violence à l'encontre des femmes", s'indigne Fouzia Assouli qui note qu'avec cette affaire, "la violence dans l'espace public est institutionnalisée et approuvée par la justice".
Pour la militante féministe, ce débordement "grave" de la justice s'explique par le fait que "l'Etat caresse dans le sens du poil le machisme primitif". "Ce n'est pas parce que nous avons un ministre du PJD (Parti de la justice et du développement, nldr) que tous les conservateurs devraient surfer sur ça !", s'insurge la président de la LDDF.
Son organisation a d'ailleurs dénoncé cet agissement de la justice marocaine à travers un communiqué et a confié la défense des deux femmes à un avocat de l'association afin de les soutenir lors de leurs procès. "Nous ferons tout pour aider ces femmes, nous veillerons aussi à organiser des sit-in en solidarité avec ces victimes."
Les associations se mobilisent
Même son de cloche chez l'ensemble des organisations de défense des droits de l'Homme qui ont dénoncé vivement la poursuite de ces deux femmes en justice. Bouthaina ElMakoudi, militante pour les droits de l'Homme a même posté une vidéo où elle déplore "cet esprit daéchiste qui rampe vers le Maroc et qui pourrait prendre une grande ampleur qui limiterait la liberté des citoyens".
"Ce n'est pas juste l'histoire de ces deux filles, c'est une menace générale pour les libertés individuelles", avertit la jeune militante dont la vidéo a été visionnée près de 10.000 fois sur Facebook. Mais pour Bouthaina, le pire dans l'affaire, "c'est que la justice puisse se solidariser avec cette pensée extrémiste".
Pour exprimer sa solidarité, la jeune militante annonce "deux sit-in dans les jours qui viennent en solidarité avec les deux femmes". "Le premier sit-in sera organisé samedi 27 juin à 14h devant la wilaya d'Agadir afin de jauger l'opinion publique. Nous souhaitons qu'il y ait plusieurs manifestations en même temps dans toutes les régions du Maroc", nous affirme-t-elle. D'ailleurs, un sit-in a été confirmé à Sefrou à la même heure en solidarité avec la cause.
Une poussée d'extrémisme dans la région ?
Le procès des deux filles n'est pas un cas isolé dans la région d'Agadir. Quelques jours après leur arrestation, une pancarte "Respect Ramadan No Bikinis", blanc sur noir, a été érigée sur la place d'Anza, interdisant aux Marocaines et aux étrangères de bronzer en maillot de bain par respect au mois saint. Ajoutons à cela le cas "de deux hommes soupçonnés d'homosexualité qui ont été tabassés et arrêtés par la police au même souk à Inzegane le 22 juin", selon Aziz Sellami, le président de la section d'Agadir de l'AMDH.
Une histoire qui créé la stupéfaction sur le web
L'affaire des deux femmes d'Inzegane n'a pas tardé à provoquer un tollé sur les réseaux sociaux. Une pétition sur Avaaz a été créée pour appeler à la libération immédiate des deux femmes.
La pétition signale que "c'est une atteinte aux libertés individuelles et aux droits de l'Homme" et constitue une "régression et un cas qui ouvre la voie à ceux qui veulent s'insurger en moralisateurs ou prêcheurs pour imposer leurs propres lois ". Le président de la section d'Agadir de l'AMDH ajoute: "Aucun texte de la constitution ne définit des critères relatifs à la tenue vestimentaire des Marocains".
Lina Bikiche
Lina Bikiche, vlogueuse (blogueuse vidéo) marocaine installée en France, a posté un cliché d'elle-même, les aisselles non épilées, pour dénoncer le machisme derrière ce procès."Au Maroc, si tu veux être une femme libre et indépendante, mieux vaut être un homme", affirme-t-elle sur sa photo, appelant les femmes marocaines à se solidariser et à se révolter et clamer haut et fort que "porter une robe n'est pas un crime !"
Du côté de la défense, l'avocat Ali Ammar, auquel la LDDF a confié l'affaire, est décidé à soutenir les deux jeunes accusées jusqu'au bout. Il sera épaulé par "plusieurs associations féministes qui veulent se constituer en partie civile pour tenir tête à ce jugement", a affirmé l'avocat. Pour lui, cette affaire est "extrêmement dangereuse". "L'Etat laisse de côté son rôle et permet aux extrémistes de décider à sa place".
"Je crains que la sphère religieuse ne soit sujet de compétitivité entre les organisations islamistes et l'Etat", s'inquiète Ali Ammar qui pense que "le citoyen pourrait être à la merci de regroupements islamistes qui se donneraient le droit de juger sa tenue, ses opinions et son comportement" alors que cette liberté est garantie par la Constitution du pays.
Mise à jour | Par ailleurs, le verdict du procès des deux jeunes femmes a été reporté au 13 juillet.