21 décembre 1914 minuit
Mon gros Robert et fils chéri
Ta carte m’émeut et m’enorgueillit. Je suis fier de toi et tu le sais, tu fus toujours ma joie.
Si je te connais et t’apprécie de la sorte, tu n’as rien à gagner, je te l’assure auprès d’autres. Tu peux donc avoir la satisfaction du devoir accompli.
Et cependant, tu ne dois pas te tenir quitte. Il te reste, si je disparais, ta mère chérie et ton frère. Je doute de plus en plus de la réussite avec Loulou, cependant, il faudra faire tout notre possible pour le faire arriver à quelque chose.
Quant à maman, elle aura, si malheur m’arrivait à manœuvrer ferme pour sa pension qui je l’espère, complétée de services civils, militaires et s’il y a lieu, d’autres actes militaires dont l’état est jusqu’à présent tenu à jour, la mettre en dehors du besoin. Mais pour la réussite de tout cela, pour ma quiétude aussi, il faut et j’exige paternellement que tu restes là.
S’il fallait une raison de convenance, je te dirais nous avons fait notre part. Mais nous n’avons pas besoin de ce subterfuge.
Ainsi donc mon gars, c’est promis, tu restes là et tu me remplaceras, s’il en est besoin jusqu’à ce que tu auras constaté que tu peux te libérer.
Ta présence auprès de moi ne serait qu’illusoire. Je ne puis m’attacher un médecin, même auxiliaire. Tu sais, au bout du monde, dans un combat ou je serais engagé, à moins qu’une blessure comme les deux imbéciles que j’ai reçues et qui vont cependant me compter comme si j’avais fait voir mes boyaux.
D’ailleurs du petit au plus grand, j’allais dire au plus gros, j’ai la sympathie du service médical et je ne serais pas délaissé. Ainsi donc, sois tranquille. Je prends peut être des dispositions que tu appelleras in extremis. Non ceci avait besoin d’être dit et le sera une fois pour toutes.
J’oubliais de te rappeler que je connais un ancien du 37e Mr Razy à Paris qui par l’intermédiaire de Simon au groupe Turenne 28 rue du charolais à Paris, pourrait intervenir s’il y a lieu, de conseil d’État pour la démarche de maman auprès de son frère, haut fonctionnaire à ce conseil d’état.
Pour ma police d’assurances, tu es au courant pour l’une de 8000 Frs , nous avons payé intégralement toutes les primes, (nous en avons même payé une dernière alors que les Cies déclaraient faire toutes réserves…) Ce qui serait un argument à retenir. Pour une de 5000F pour laquelle maman a pris des dispositions spéciales.
Pour le reste de notre petit magot, je suis tranquille, je n’ai pas besoin de dispositions testamentaires, cependant j’en ai laissé un dans mes paperasses. Il n’y a la valeur que d’un dernier atout.
Ici, j’ai outre mon équipement (sabre, revolver, jumelles (deux à prisme ) et deux cantines, c’est à dire une cantine et une valise bourrée d’effets militaires. La cantine ou la valise, contient toutes les lettres que j’ai reçues de vous. J’ai sur moi dans ma poche intérieure de ma capote, vos lettres récentes et vos photographies. Ces différentes choses, pourraient vous être expédiées par Dunkerque, si le sort en était jeté pour ce sol belge, par les soins soit de Tardy officier d’approvisionnement du 37e ou Naëgalé officier payeur, Clément lieutenant de réserve au régiment serviraient utilement d’intermédiaires.
Je crois mon cher Robert avoir à peu près tout prévu. J’oubliais, j’ai à la maison une caisse dite de patronage. Elle est juste moins les écritures des derniers jours, s’il arrivait quelque chose, maman devrait la remettre au Directeur.
Voilà tout, mais tout cela, ce sont des précautions exagérées, mais que tout homme soucieux ne doit pas négliger, je te délègue donc tous mes pouvoirs pour le cas ou maman ne pourrait agir elle-même. Tout va bien ici, mais cette vilaine terre imbibée d’eau presque jusqu’à la surface, est déprimante. J’ai pu cependant faire un concours de tranchées d’une compagnie et j’attends un jour de repos pour faire une soirée récréation avec distribution de prix aux lauréats. Je te ferais part de l’invitation. Tu vois on ne s’ennuie pas.
Je t’embrasse mon gars. Ton papa qui t’aime bien.
J.Druesne
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21 décembre 1914 (JMO du 37e RI)
Le régiment vient stationner comme il suit: 1er bataillon réserve de CA à Boesinghe dans les cantonnements qu’il occupe déjà; 2eme bataillon en réserve de Division à Boesinghe (fermes entre Boesinghe et Zuydschoote); 3eme bataillon en réserve de Division à Pilken et environs.
Cartographie du 21 décembre 1914