L'enfant mystérieux

Publié le 27 juillet 2015 par Jlk


Tous les personnages de ce roman ont connu Christopher, soit pour l’avoir rencontré, soit pour en avoir entendu parler par les précédents. Les premiers seuls savent de quoi ils parlent, et d’abord parce que la première question qu’ils se sont posée en sa présence muette les renvoyait à eux-mêmes.

« Qui es-tu, toi qui me regardes ? » était, de fait, la première question que Christopher posait de son seul regard à quiconque se trouvait pour la première fois en sa présence, et dans cette seule présence se dissolvait toute réponse.

Simplement Christopher regardait la personne qui se trouvait devant lui, et la personne s’identifiait elle-même et, le plus souvent, se souriait intérieurement tout en se demandant qui était Christopher ?

Est-ce à dire que Christopher fût une sorte d’angélique illuminé ou de passager inspiré des interzones ? Chacun en décidera à sa guise.

Cécile aura surtout apprécié le voyageur attentif et le conteur à dormir debout ; Chloé, le tendre aquarelliste des sentiments ; Léa et Rachel, le compatissant ; Olga, le seul lecteur, avec Jonas, qui eût jamais lu en elle – chacune et chacun le décrivant à sa ressemblance.

Jonas, qui avait mémorisé des milliers de sentences utiles ou belles, et qui fut à maints égards l’instituteur de Christopher, comme le vieux Sam avait été le sien, trouva cependant en Christopher une mémoire plus profonde et pénétrante que la sienne, essentiellement constituée d’empilements de faits dont la superposition des strates irradiait.

Comme s’il parlait en langue, à la manière des prophètes anciens et très barbus, Christopher, par exemple assis à la terrasse ensoleillée de chez Hans en Grietje, non loin du grand musée rose irradié par la lumière de Van Rijn et compagnie, les yeux mi-clos et souriant à Jonas qui avait tenu, cette année-là, à lui montrer le bleu de Delft et le brun de certain café amstellodamois, avait murmuré d’une traite : « Cent millions d’entre nous sont des enfants qui vivent dans la rue. Cent vingt millions vivent dans des pays où ils ne sont pas nés. Vingt-trois millions d’entre nous sont des réfugiés. Seize millions d’entre nous vivent au Caire. Douze millions gagnent leur vie en pêchant à bord d’une petite embarcation. Sept millions et demi d’entre nous sont ouïghours. Un million d’entre nous travaillent à bord de chalutiers frigorifiques. Deux mille d’entre nous se suicident chaque jour »...

(Extrait d'un roman en chantier)

Peinture: Rembrandt, autoportrait.