Jean-Michel Platier & Thierry Renard | [Nous nous exposons aux regards moqueurs et aux pies inquiètes]

N ous nous exposons aux regards moqueurs et aux pies inquiètes.[NOUS NOUS EXPOSONS AUX REGARDS MOQUEURS ET AUX PIES INQUIÈTES]
Le corps nu, la langue muette, et nos âmes percées de rêves apaches.
On suscite l'inquiétude, les rires en douce, d'hypnotiques malheurs.
On soulève des questions, des gestes anodins, des querelles stériles.
On nous reproche notre liberté, nos trahisons, nos objections, notre humour caustique.
Et la non-rentabilité de nos écrits.
Mais nous nous clamerons, nous nous disperserons,
Nous avouerons sous la contrainte des poèmes fous
Car il faudra bien en des contrées étrangères
Vanter notre théorème, notre médecine, notre idéal, notre rêve,
Crever la gangue qui nous assassine : Crever la route !
Un jour on se lève et on est déjà vieux, déjà tout refroidi. Mais pas d'impatience, pas d'inquiétude et pas d'imprudence. Les problèmes de notre génération ne sont que des soucis. Petits tracas quotidiens au coulis de fraise ou de framboise. Anxiété passagère parce que sans importance. Rien n'est à retenir, tout peut nous échapper. Et s'échapper par la lucarne ovale.
Jadis il y avait des roses dans notre vase. Le linge de la liberté pendait à nos fenêtres. Aujourd'hui nous connaissons un certain ralentissement. Nous nous parlons, nous avouons nos fautes. Nous sommes coupables de ne pas être des assassins. Le pouvoir qui a fui ne s'est pas retourné sur nous. Nous manquons d'argent, nous manquons de pain, nous manquons de tout. Mais ne perdons jamais de vue l'essentiel, cet oiseau invisible et sans nom.
Le jour se lève. Nous sommes déjà vieux.
Jean-Michel Platier & Thierry Renard, " VI. Paris est au coin de la rue " in Crever la route, Tandem actualiste, Éditions Les Cahiers de l'Indocile, 2011, pp. 93-94. Illustrations originales de Roxane Maurer.