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8 août 1730 | Le Sylphe de Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, dit Crébillon fils

Publié le 08 août 2015 par Angèle Paoli

e 8 août 1730, le manuscrit intitulé La Nuit sylphique reçoit l'approbation d'impression. Cette approbation " est régistrée sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de Paris, numéro 1963, conformément aux Règlements et notamment à l'Arrêt de la Cour du Parlement du 3 décembre 1705. " Publiée en 1730 " sans nom d'auteur ", La Nuit sylphique, également baptisée Le Sylphe ou le Songe de Mme R*** écrit par elle-même à Mme de S***, met en scène, dans un dialogue savoureux, une vertueuse comtesse, mais dénudée, avec un " sylphe ", esprit " impalpable ", sensible et amoureux, qui entreprend de séduire la belle par ses discours tentateurs :

" Je sais tout ce qui se passe dans votre âme, ma belle comtesse, je serai respectueux, nous ne sommes entreprenants que quand nous sommes aimés.

- Bon, dis-je en moi-même, je ne crois pas que je te mette jamais à portée de me manquer de respect.

- N'en répondez pas, dit la voix, nous sommes des amants un peu dangereux, nous savons tout ce qui se passe dans le cœur d'une femme, elle ne saurait former de désirs que nous ne satisfassions, nous entrons dans tous ses caprices, nous vieillissons ses rivales, et nous augmentons ses charmes, nous connaissons toutes ses faiblesses, et quand elle pousse un soupir d'amour, que la nature dans un moment de distraction se trouve la plus forte, nous le saisissons ; en un mot, la plus légère idée de tentation devient par nos soins tentation violente, et bientôt satisfaite. Avouez que si les hommes avaient notre science, il n'y aurait pas une femme qui leur échappât. Ajoutez à cela que notre invisibilité est contre les maris jaloux, ou les mères ridicules, d'une ressource merveilleuse : point de précautions pour prévenir les leurs ; moins d'yeux surveillants qu'on ne trompe avec ce secret. Mais de grâce, ajouta-t-il, cessez de vous cacher à mes yeux, cette complaisance ne vous engage à rien, puisque vous ne me verrez que quand vous le voudrez et que vos sentiments pour moi dépendent uniquement de vous. "

À ces mots, je me montrai, et l'esprit, car c'en était un, fit à ma vue un cri qui pensa me faire rentrer sous le drap, je me rassurai pourtant.

" Ah ! s'écria-t-il, en me voyant, que de beautés ! Quel dommage qu'elles fussent destinées à un vil mortel ! Il est impossible qu'elles m'échappent. " [...]


Claude de Crébillon, Le Sylphe in Romanciers libertins du XVIIIe siècle, I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000, pp. 55-56. Édition établie sous la direction de Patrick Wald Lasowski, avec la collaboration d'Alain Clerval, Jean-Pierre Dubost, Marcel Hénaff, Pierre Saint-Amand et Roman Wald-Lasowski.

Plus de deux siècles et demi plus tard, Pascal Quignard, dans Mourir de penser, Dernier royaume IX, consacre le chapitre XXV au récit de Claude Jolyot de Crébillon*. Voici ce qu'il écrit :

es femmes et les hommes qui touchent leurs parties génitales quand ils sont seuls dans la sieste, ou encore au crépuscule, ou bien dans l'aube, soit parce que le genius Cupido les a visités inopinément, soit parce que le genius Somnus a commencé par ériger le corps puis a conduit leur main jusqu'à la chose la plus proche d'eux-mêmes qui se dilate ou qui se gonfle, hallucinant un double qui procure une attirance de plus en plus irrésistible aux scénarios assez peu volontaires dans lesquels ils commencent à se complaire.

Ce double porte une assistance non négligeable au plaisir qu'ils escomptent au terme de leurs doigts.

Nous tombons parfois dans une nostalgie indicible à l'endroit de ces joies qui seraient honteuses s'il nous fallait les avouer à nos proches dans le jour ou les montrer à nos Aïeux dans le temps. Une sensualité imaginaire exauce l'inavouable. Un corps qui n'est pas là vient protéger le désir qui bouleverse. Il offre sa garde à l'idée que l'âme repousse. Il soutient et il défend contre la conscience qui pointe. Il survit à l'épanchement. On s'endort dans son rêve.

L'ange qui garde les femmes et les hommes à leur joie esseulée, et la fait s'épanouir, est encore un daimôn.

Une œuvre de Crébillon, qui date de 1730, est consacrée tout entière au fantasme masturbatoire. Comme Socrate en - 399 avait décidé d'appeler " daimôn " la voix intérieure, Crébillon décida d'appeler " sylphe " ce daimôn de la main solitaire. Crébillon avait vingt-trois ans, 2129 ans s'étaient écoulés depuis que Socrate était mort pour son daimôn, et jamais Crébillon n'a poussé plus avant, dans la suite de son œuvre, l'audace profonde et inexorable de ce petit volume. Il est intitulé Le Sylphe. Claude Jolyot de Crébillon, toute sa vie, collectionna les estampes. Il déménagea à Sens, avec Miss Stafford, en 1750, transportant plus de deux milliers d'images licencieuses. Ce livre compte parmi les plus étranges et des plus déroutants qui aient été notés sur la vie des hommes. Il compte aussi parmi les mieux écrits qui soient dans notre langue.

Pascal Quignard, Mourir de penser, Dernier royaume IX, Éditions Grasset & Fasquelle, 2014, pp. 140-141.


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