Igor a décroché un emploi de chargé de mission communication à la municipalité de Houle.
Ça durera ce que ça durera, nous a-t-il dit, après son premier jour de travail.
Qui l'a laissé perplexe.
Voire désemparé.
Mais en quoi a consisté son fameux travail ?
A prétendre que la fête de Houle avait rencontré un franc succès.
Ce qui est exagéré.
Igor en a d'ailleurs été meurtri : il a horreur des entreprises qui échouent.
L'idée des soufflés qui s'écrasent l'attriste.
A la sortie de la fameuse fête, Igor avait d'ailleurs le coeur gros.
Déjà parce qu'il avait assisté au ratage.
Les animations, dont son prédécesseur à la com' avait promis qu'elles seraient fabuleuses, avaient déçu le public.
Gentillettes, qu'elles étaient, gentillettes, mais pas fabuleuses.
Le pique-nique devait être géant, il a été riquiqui.
Ajoutez une météo désastreuse et badaboum, la fête a fatigué le public venu la faire.
Il était minuit quand Igor a dû publier un communiqué sur le site de la Ville qui vient de l'embaucher.
Igor s'est concentré.
Igor s'est accroché.
Il a tenté de mettre en cause la météo.
"Le ciel n'était pas dans le camp des organisateurs", a-t-il commencé.
Attaque qu'il a biffée.
"Sans la pluie, qui tombait à verse, la fête se serait prolongée jusqu'au petit matin".
Attaque qu'il a encore rayée.
Igor a renoncé à évoquer la météo, qui faisait filer un mauvais coton à son compte-rendu.
"Dommage que le car de la troupe de comédiens commandée pour les fabuleuses animations ait été bloquée au péage de Houle par un mouvement de grève de ses agents".
Grotesque, c'était grotesque, Igor s'est déconnecté du site de la municipalité de la Ville qui lui a donné sa chance.
Il a éteint son ordinateur.
En paix avec lui-même.
Ayant aujourd'hui batifolé, il lui reste une nuit pour structurer les explications que son employeur ne manquera pas de lui demander.
Il a cependant commencé à y réfléchir, en batifolant.
C'était plus fort que lui.
Il avait beau essayer de fuir, cet argumentaire à pondre le hantait.
Il n'a abouti à rien.
Il a mis en cause la météo.
Et tout s'est éclairé.
Il est retourné à son bureau de chargé de mission communication.
Pour noter son coup de génie : une attaque qui tenait debout.
"S'il avait samedi le temps qu'il a fait dimanche, la fête eut été un triomphe".
Puis Igor a noté la chute : "Une fête n'est vraiment réussie que si le public est convaincu qu'il a assisté à la naissance d'un évènement fondateur. En effet, il pourra dire qu'il en était, qu'il aura, par son courage (NDLR : la météo était désastreuse), contribué par sa présence à sa pérennisation".
Demain matin, dans le ventre de son compte-rendu, il détaillera la liste des animations et la liste des sponsors.
Bonne nuit Igor.