Il est des pays secrets, aimables, non pas hostiles, mais peu ouverts au voyageur étranger qui ne sait pas toujours soulever comme il le faut le voile épais couvrant ses beautés cachées. C’est le cas de l’Albanie, terre solitaire des aigles, coincée entre les Cimes maudites et l’Adriatique.Le premier problème de l’Albanie est sa localisation. Essayez de situer comme ça, à froid, l’Albanie sur une carte vierge. Il y a dans le coin toute une petite friture de trucs que personne ne sait nommer et qui se bataillent, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro, la Croatie qui fait un peu plus sérieux depuis qu’elle est devenue le front pionner de l’aventure en Europe.« Où est-ce que tu passes tes vacances ? - En Croatie.- Tu n’as pas peur ? Il paraît que c’est un peu chaud là-bas, avec les euh… autres.- Non, je gère, j’ai tout réservé sur booking. »Le Monténégro, par contre, souffre d’un défaut de crédibilité. Voici un pays dont la capitale compte moins d’habitants que le nombre annuel de passagers transportés par sa compagnie nationale. Dur.L’Albanie a une image plus définie à l’international, grâce à Enver Hoxha, Ismail Kadaré et à la mafia. Mais beaucoup de questions taraudent le voyageur à son arrivée à Tirana. La plus lancinante : comment prononce-t-on la séquence –xh- ?Grâce au Petit Futé Albanie, nous trouvons rapidement une solution à ce problème, qui n’en est d’ailleurs pas un, puisque les Albanais ne nous laissent jamais nous embarquer dans le projet hasardeux consistant à prononcer un mot. Il reste, au détour de rencontres toujours inoubliables, à comprendre l’essentiel : qu’est-ce qu’être Albanais ?D’après Kadaré, c’est simple : les Albanais sont un peuple autochtone, qui taclent tous leurs voisins au jeu de l’antériorité. On ne parle même pas des Slaves, qui sont arrivés en bataille au début du Moyen-Âge. On parle des Grecs. Le pitch du Dossier H. est intégralement appuyé sur l’hypothèse que l’albanais est une langue nettement plus ancienne que le grec, et que Homère, par voie de conséquence, aurait pillé l’œuvre orale des rhapsodes albanais pour écrire son truc en deux tomes. Voici qui change nettement notre perspective sur l’histoire mondiale.
Point 1 : l’Albanais est jovialLoin de son image de montagnard fiévreux, héritée des guerres balkaniques de 1912, l’Albanais ne trimballe par toujours une pétoire avec lui et ne passe pas son temps à trucider ses voisins pour de louches histoires de vol de biquette.Enfin, pas tout le temps.
Point 2 : l’Albanais sait se fixer des objectifsUn micro pays, une industrialisation en rade, 60% des emplois dans le secteur primaire : on pourrait se dire que les Albanais ont du mouron à se faire. Que nenni : quand il faut se mettre à l’ouvrage, ils y vont, et le paysage albanais porte les stigmates de ces tentatives d’aménagement.Au début du 20e siècle, les villes albanaises ressemblent à des hameaux bourguignons, et le seul dentiste du pays exerce à Shköder après une formation express chez les Turcs. Il est temps de faire quelque chose : heureusement, Enver Hoxha (-dja-), leader génial, a compris qu’une croissance solide reposait sur une politique de travaux publics efficace. Au boulot donc : en 40 ans, le pays se retrouve couvert de 700 000 bunkers individuels. Chaque Albanais mâle peut y trouver refuge en cas d’attaque. Les bunkers géants (format F3) sont réservés au commandement.
Point 3 : l’Albanais trouve toujours une solution à toutVous débarquez hagard et assoiffé après une course épique dans les montagnes de Gjirokastër, et tentez d’entrer dans l’église byzantine du coin : pas moyen, elle est fermée. Pas d’inquiétude, vous ne resterez pas longtemps en rade : quelqu’un vous a vu, et viendra vous aider. À Kosina, bourgade de 300 âmes, la boss est Zelda, ex-infirmière reconvertie dans l’animation municipale. Elle connaît tout le monde, sa fille vit à trois pas, et surtout, elle sait où est la clef. Mais pour en bénéficier, il va falloir se faire malaxer dans tous les sens : Zelda s’inquiète de savoir si nous avons assez mangé, si nous sommes bien en forme, et ce que nous attendons pour faire des enfants. Une femme de bon sens.
Comme on le voit, il y a dans ce petit pays bien des ressources insoupçonnées. Ma voisine, qui compulse le bouquin, me le confirme à l’instant :« Ah bon, même Attali est albanais ?- - Brouabrouabroua.- - Qu’est-ce que tu dis ?- - Enlève tes boules Quiès, crétine !- - Qu’est-ce qu’il a, Attali ?- - MEHMET ALI !- - Albanais ?- - Oui.- - Super.