W e learned the Whole of Love - N ous avons appris l'Amour tout Entier - [WE LEARNED THE WHOLE OF LOVE]
The Alphabet - the Words -
A Chapter -then the mighty Book -
Then - Revelation closed -
But in each Other's eyes
An Ignorance beheld -
Diviner than the Childhood's
And each to each, a Child -
Attempted to expound
What neither - understood -
Alas, that Wisdom is so large -
And Truth - so manifold!
[NOUS AVONS APPRIS L'AMOUR TOUT ENTIER]
L'Alphabet - les Mots -
Un Chapitre - puis le grand Livre -
Puis - la Révélation s'est refermée -
Mais dans les yeux de l'autre
Une Ignorance observait -
Plus divine que celle de l'Enfance
Et l'un pour l'autre, un Enfant -
Tentait d'expliquer
Ce qu'aucun de nous - ne comprenait-
Hélas, que la Sagesse est si vaste -
Et la Vérité - si variée !
Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes, Éditions Unes, 2015, pp. 26-27. Traduit de l'américain par François Heusbourg. Avant-propos de Caroline Sagot Duvauroux [ouvrage à paraître le 15 septembre 2015].
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NOTE DE L'ÉDITEUR : difficile d'aborder l'œuvre d'Emily Dickinson, qui n'a jamais composé de recueil, et dont les 1 800 poèmes sont répartis sur une période de 30 ans. Durant cette vaste période, son écriture et ses préoccupations changent, certains de ses proches disparaissent, sa santé s'altère... ce qui rend délicate l'appréhension de cette œuvre qui ne semble pouvoir s'approcher que frontalement.
L'éditeur a pris ici le parti de présenter un choix de poèmes recueillis dans les limites arbitraires d'une année d'écriture, ici 1863, qui est l'année la plus productive de l'auteur. La sélection publiée, organisée comme un véritable livre et non pas comme une succession de textes, comporte une soixantaine d'entre eux (sur les 300 écrits dans la période) réunis par la proximité de leurs thèmes : la solitude, les limites de la mortalité humaine, la vie quotidienne dans une petite ville de province, et ce dialogue si particulier qu'Emily Dickinson entretenait avec ce qu'on pourrait appeler ses lecteurs invisibles, quelque part entre la confession, le journal et la correspondance. Il naît un trouble au fil de la lecture, comme un rapport d'exclusivité entre l'auteur et le lecteur, la sensation d'une relation de l'un à l'autre ; une voix qui chuchote par-dessus le temps et dont la vitalité intime ne s'altère pas.