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Flexibilité stupéfiante, p3

Publié le 05 septembre 2015 par Robertdorazi @robertdorazi

Lemski au contraire avait toutes les raisons de prendre son temps. Pour commencer, à trente sept ans et avec quinze ans d'expérience, il savait que les cadavres s'enfuyaient rarement en entendant la sirène d'une voiture de police. Il savait aussi que montés un par un ou quatre par quatre les escaliers l'emmèneraient au même endroit. Et Lemski n'était pas pressé d'y arriver. Enfin il portait son uniforme réglementaire (il était sur le point de se changer pour rentrer quand Carl et lui avaient été appelés), et le bruit de ses chaussures aux semelles trop neuves sur les marches de grès le mettait mal à l'aise. Cette espèce de frottement et son écho lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Aujourd'hui aussi il savait ce qu'il allait trouver au bout de ces escaliers.

La porte rouge de l'appartement 3B était grande ouverte, et les deux ambulanciers du Samu étaient toujours là, leurs visages sombres, défaits.

― Par ici, lança l'un d'entre eux.

Il indiqua la direction avec son bras.

― Elle était déjà morte quand on est arrivé, dit le second ambulancier en désignant une femme aux cheveux blonds allongée sur le carrelage de la sale de bain. Le médecin légiste devrait arriver bientôt. Mais à mon avis ce n'était pas la peine de le déranger.

― Il n'y a pas de raisons que vous et moi soyons les seuls à mal dormir ce soir, dit Lemski en essayant sans succès de sourire.

Carl, lui, n'avait eu aucune hésitation à entrer, alors que Lemski commençait à avoir un haut le cœur. Il ressortit de la salle de bain aussi vite que possible, aussi vite que sa conscience professionnelle le lui permettait. Il n'avait jamais compris comment les flics de séries télévisées pouvaient sortir des blagues vaseuses dans ses moments là. C'était peut-être leur façon de faire face. Pour Lemski en revanche, le meilleur moyen de faire face c'était de tourner la tête.

Le légiste, le docteur Massart, arriva effectivement assez vite. C'était un homme encore jeune, qui parlait calmement, presque à voix basse. Comme s'il avait peur de réveiller ses " clients ". Il se pencha sur le corps, cherchant ce qu'un légiste savait devoir chercher sur un corps inerte. Il le fit d'une façon qui laissait peu de doutes sur sa compétence. Lemski avait eu affaire à lui quelques fois ces deux dernières années.

― Le corps est encore chaud, dit-il après s'être relevé avec un petit rictus de douleur. On sent une légère rigor mortis au niveau de la mâchoire. Elle est morte depuis une heure tout au plus. Il n'y a pas de sang, pas de plaies ouvertes, pas de marques suspectes à première vue. Par contre vous pouvez voir le sèche-cheveux et un sol humide. Et voilà comment on quitte ce monde. C'est dans des moments comme celui-ci que je suis presque content d'être chauve.

Alors quand ce n'est pas les policiers, c'est le légiste qui fait des blagues foireuses ! pensa Lemski.

― Une heure, ça correspond avec le coup de téléphone au poste.


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