...de presse en 40 images
Cette «petite histoire de la caricature de presse», par un prof de la fac de Poitiers, s’emploie à fournir quelque notion de cet art aux lycéens et enseignants. L’affaire «Charlie-Hebdo» a en effet braqué les projecteurs sur ce genre en voie de disparition, depuis que la presse est devenue "une affaire de publicité".
Mais il est difficile de ne pas se montrer critique, voire sarcastique, à l’égard d’un tel ouvrage... scolaire. La satire, enseignée à l’école ? Quel paradoxe ! L’auteur de ce petit manuel, Dominique Moncond’huy, note que l’anticléricalisme fut un des thèmes de prédilection de la presse satirique ; or il y a beau temps que l’institution scolaire s’est substituée à l’Eglise, et que les instituteurs et les profs ont remplacé les curés, suivant la remarque de Péguy ou Marx. L'école et l'université, les professeurs, doivent redevenir une cible de la satire.
Dans son chapitre, « La satire, une tradition européenne », où Moncond’huy mélange un peu tout, traitant hors-sujet d’auteurs antiques satiriques assez éloignés de la tradition moderne, on aurait pu mentionner le précédent des caricatures protestantes (luthériennes), dirigées contre le pape et Rome. Il s’agit là d’un épisode historiquement fondateur. On y voit déjà une innovation technique (l’imprimerie) servir le pouvoir politique, en même temps qu’elle échappe à son contrôle. Ce sera peut-être le cas de l'internet ?
Le chapitre le plus intéressant aurait pu être celui où D. Moncond’huy aborde—en prenant des gants– le sujet du déclin de la presse satirique française et de ses causes. L’auteur accentue sans doute l’impression du déclin en citant Plantu et Luz, parmi les plus fades caricaturistes du moment, plus près de la moraline bobo que de la satire. D. Moncond’huy suggère tout de même que le régime républicain pourrait être un régime de censure : « Gageons que le recul relatif de la satire de presse, à sa manière, constituait un signe de l’affermissement de la République elle-même (…). » Doux euphémisme.
De plus cela n’a aucun sens de faire de l’antiparlementarisme une tradition « extrémiste » : notre constitution, celle de la Ve République, est nettement « antiparlementaire ». De surcroît les « valeurs républicaines » sont largement inféodées aux valeurs des milieux d’affaire, et l’effet néfaste de la publicité commerciale sur la presse satirique, voire la presse tout court, aurait pu être signalé. Certains titres se vantent d’ailleurs de ne pas publier de publicité, pour souligner leur indépendance.
Un exemple aurait pu être pris, qui illustre le rôle de censure de l’institution scolaire, et non seulement des milieux d'affaire. « Hara-Kiri », frappé de censure par le pouvoir gaulliste il y a presque un demi siècle, mettait en exergue les attributs monarchiques d’une République censée être « démocratique », et donc participative. Entre temps, si la légende dorée de de Gaulle et le « roman national » se sont imposés sur la satire ou l’histoire, c’est bien, assez largement, du fait d’un enseignement scolaire au niveau de l’instruction civique. La disparition de la presse satirique populaire est aussi la rançon d’une culture de plus en plus « élitiste », c’est-à-dire produite par les élites politiques et économiques.
Ces réserves faites sur le point de vue didactique et institutionnel adopté par l'ouvrage de D. Moncond’huy, bien plus qu’il n’est historique, quelques chapitres ont le mérite de déniaiser le jeune public visé, plus habitué à l’humour gras, énonçant clairement les principes du dessin de presse satirique (« Un art de la simplicité »).
Petite histoire de la caricature de presse en 40 images, D. Moncond’huy, Folioplus classiques, juin 2015.