Max Beauvoir ou la bonté

Publié le 19 septembre 2015 par Stella

Max Beauvoir, ati national

Je viens d'apprendre, par de multiples intermédiaires, que Max Beauvoir, grand-prêtre vaudou qui vivait à Port-au-Prince (Haïti), est décédé le 12 septembre 2015. Il avait 79 ans. J'en suis attristée.

Je n'aurai certainement pas la prétention de dire que je l'ai connu. J'ai simplement eu la chance de lui être présentée par quelqu'un qui le connaissait bien. Depuis, j'ai appris qu'elle était l'une de ses disciples, sa dernière fille spirituelle comme elle le précise dans son blog. A l'époque où elle m'a emmenée le voir, ils étaient déjà des amis. Je me souviendrai longtemps de cette rencontre.

Connaissant mon intérêt pour la spiritualité et sachant mes liens passés avec le Bénin et sa religion favorite, le vaudou, Alphonsine m'avait indiqué dès mon arrivée à Port-au-Prince - où je me rendais à l'époque pour la première fois, à son invitation, pour des vacances - qu'elle ferait tout pour m'emmener chez Max Beauvoir. Elle a rapidement tenu parole, et cette rencontre est gravée pour toujours dans ma mémoire.

Nous sommes parties chez Max à la nuit tombée, simplement parce que nous avons été informées tardivement qu'il nous recevrait ce jour-là. Pour ne pas manquer le rendez-vous et décevoir son hospitalité, nous sommes parties malgré l'heure tardive. Sa maison était invisible depuis la route, enfouie derrière un mur et une abondante végétation. Nous avons d'ailleurs failli la manquer, dans l'obscurité dense qui nous entourait. Une petite porte qui s'ouvre en chantonnant sur des gonds fatigués, des animaux - chiens ? chats ? oiseaux de nuit ? - qui chuintent dans le jardin à notre approche, de faibles lumignons qui accompagnent le minuscule sentier qui serpente jusqu'au perron : tout dans ce lieu avait l'attrait mystérieux et un peu magique qui entoure souvent les grands personnages. Nous avons frappé et, tout simplement, il est venu nous ouvrir. Nous nous sommes assis dans le jardin, pour un brin de causette.

De quoi avons-nous parlé ? Je ne me souviens plus exactement, mais je sais que la conversation a été passionnante. Nous avons évoqué nos parcours personnels et spirituels, notre amour partagé pour la liberté absolue de nos consciences et la nécessité de la fraternité et du respect mutuel. Max Beauvoir était "ati national", autrement dit chef suprême du vaudou mais n'en tirait aucune gloire, aucun privilège. Il était un citoyen comme un autre et l'on était reçu chez lui sans affectation. Et pourtant, quel homme extraordinaire !

Je me bornerai à mentionner ici qu'il avait notamment contribué à créer la plateforme interreligieuse "religions pour la paix". Dans un pays comme Haïti, qui a connu un destin heurté, toutes les initiatives allant vers l'apaisement et la concorde civile sont les bienvenues. Il ne ménageait pas sa peine dans cette œuvre immense, il y jouait de sa stature, de son charisme, de cette érudition qu'il savait rendre simple et sa parole était souvent un baume bienfaisant au cœur de ses concitoyens. Il travaillait aussi à la préservation de l'histoire, de la mémoire d'Haïti. Il insistait beaucoup pour que ne soit pas oublié le "pays du départ", territoire des côtes d'Afrique subsaharienne aujourd'hui nommé Bénin, Ghana, Nigeria ou autre, peu importe. La religion de ce "pays du départ" était le vaudou, si souvent décrié, incompris, honni. Il restaurait culturellement, philosophiquement, scientifiquement aussi car il était biologiste de profession, ce passé et ces racines qui sont si importantes pour nous tous. Savoir qui nous sommes et d'où nous venons est en effet la meilleure manière de tenir notre place d'être humain, de vivre debout à côté des autres hommes, de les aimer et de les respecter dans leur différence. Max Beauvoir, c'était tout cela. Il reste pour toujours dans le cœur de ceux qui l'ont connu et aimé, et aussi dans celui de celle qui, un soir d'été, a croisé sa route pour une rencontre unique et éphémère.