Magazine Journal intime

la pêche à la main au Vernois

Publié le 22 septembre 2015 par Journalvernois

l'Arroux

De tout temps la rivière, l’Arroux, longeant les terrains de la ferme a été un pôle d’attraction pour ceux qui l’exploitaient et y vivaient. Pour les anciens, mes aînés, la pêche était un loisir, une occupation naturelle, un moyen de se nourrir. Je me demande s’ils savaient pêcher à la ligne, de façon conventionnelle. Je les ai vus pêcher au clou (voir le billet « tendre de cordes ») à la nasse, au carrelet, au filet, à l’épervier,( mon oncle Jean le lançait avec adresse). Je les ai vus aussi pêcher de la façon la plus simple qui soit, pêcher à la main. D’ailleurs je m’en suis largement inspiré plus tard.
Tous les étés,quand l’Arroux était basse et adoucie par la chaleur le rituel était le même: baignade et pêche à la main; cela faisait partie des distractions dominicales; ce pouvait être aussi par des après midi très chauds lorsque les travaux agricoles se faisaient moins urgents. Une distraction comme une autre
Parfois des oncles et tantes se donnaient rendez-vous à la ferme pour une partie de pêche à la main, bien sûr suivie d’ un pique-nique au bord de la rivière A peine arrivés les hommes se mettaient à l’eau et ils ne tardaient pas à lancer sur la berge ou sur le pré leurs prises qu’on se dépêchait de ramasser. Les poissons étaient écaillés, vidés, un foyer rudimentaire improvisé entre 4 ou 5 grosses pierres prises dans le lit de la rivière. Vers midi les femmes faisaient cuire la friture dans un grand poêlon plein d’huile que la braise faisait bouillonner. La « marande » était appréciée. Tout le monde était ravi.
J’ai un autre souvenir de pêche à la main qui m’amuse toujours quand je revois la scène. Au moment de la « paulée des foins ou des moissons on voyait arriver le Pîtot et le Guèguè, les deux « vieux gars » de la ferme voisine. A leur air mystérieux et leur sourire on se doutait qu’il allaient pêcher à la main; alors on les accompagnait. Ils se mettaient à l’eau tout habillés, tricot de peau, pantalon de bleu de travail, sabots aux pieds. Je n’ai jamais su si c’était par pudeur, pour ne pas s’exposer au soleil, se protéger des branchages des rives,ou ne pas se montrer en slip. (j’ai toujours supposé qu’ils n’en connaissaient pas l’usage). La partie de pêche terminée, il repartaient, tenant par la gueule leur grand sac en toile de jute chargé de poissons. C’était plusieurs repas d’assurés, toujours ça de pris! Ils ne pêchaient pas que pour le plaisir

Pour ma part c’est à partir du moment où les parents m’ont laissé partir seul ou accompagné de copains, vers la rivière et que j’ai su nager que je me suis initié à la pêche à la main. C’est vite devenu une addiction. Etait-ce le côté illicite de cette façon de pêcher, était-ce pour braver l’interdit ou surtout vivre avec la rivière, dénicher les poissons dans leur milieu naturel, les toucher, les capturer ?
La pêche à la main septique en été, lorsqu’il fait très chaud, voire lourd et orageux. A ce moment les poissons se « calent » dans les endroits frais et restent ainsi: sous les roches présentant une cavité, sous les racines des berges ombragées, sous les limons ou les embâcles.Je crois que j’ai fini par connaître toutes les repaires des poissons sur la partie de l’Arroux qui longe nos prés. J’ai appris à reconnaitre les poissons rien qu’au toucher: la truite fario méfiante et sauvage uniquement en eaux vives, la perche à la peau râpeuse, immobile se laissant manipuler comme un vulgaire morceau de bois jusqu’à ce qu’on la sorte de l’eau la lotte très glissante, très difficile à saisir, le chevesne aux écailles bien reconnaissables,le barbillon ( barbeau) gros et puissant poisson mais peu combatif, facile à prendre et de peu intérêt culinaire que je capturais juste pour le plaisir. Parfois il fallait plonger et rester en apnée pour prendre un poisson sous une roche. Quelle excitation si j’en touchais un gros. J’approchais doucement les mains, le caressais, passais une main sur le nez, l’autre vers la queue, évaluais la taille de l’animal. Au bon moment je refermais mes doigts comme un étau au niveau de ses ouïes . Il était pris. Parfois Le poisson se débattait furieusement, et sa peau glissante aidant , arrivait à se dégager. D’autrefois il fuyait au premier contact. Espoir déçu! mais quelle fierté lorsque je rentrais à la ferme avec des truites ou des perches pour toute la maisonnée. Souvenirs, souvenirs!
Encore aujourd’hui, si je vais me baigner je ne résiste pas à l’envie de chercher sous une roche où systématiquement se cachait une truite, ou sous une autre dont la cavité profonde, en cul de sac, abritait une lotte. C’est juste pour retrouver les sensations, je n’essaie même pas de les prendre. L’ambiance n’est plus là, le plaisir non plus. L’Arroux n’est plus tout à fait la même, les berges, la végétation ont changé. Le lit de la rivière aussi s’est un peu modifié. En fait, 40 ou 50 ans se sont écoulés

A bientôt

Marande: repas de midi, déjeuner
Vieux gars: célibataires
Paulée: dernier jour des récoltes (foins ou moissons)


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