La Cavale du Dr Destouches****

Publié le 26 septembre 2015 par Zebralefanzine @zebralefanzine

L'acteur de théâtre et de cinéma Christophe Malavoy, scénariste de cette bande-dessinée, ne cache pas qu'il ambitionne à travers "La Cavale du Dr Destouches" (Futuropolis), si ce n'est de réhabiliter Céline, du moins d'en dresser un portrait plus juste. "Je me suis rendu compte que beaucoup de personnes avaient une opinion de Céline alors même qu'elles ne l'avaient pas lu, ou du bout des yeux si j'ose dire. J'ai eu le sentiment qu'elles répétaient ce qu'elles avaient entendu dire ou encore ce qu'il était "de bon ton" de dire."

On partage avec C. Malavoy l'idée qu'une sorte de cordon sanitaire a été tiré entre Céline et le public, notamment les jeunes lecteurs, pour de mauvaises raisons et non pour empêcher la contagion de ses idées antisémites. L'apologie de la violence, par exemple, si fréquente au cinéma aujourd'hui, est une accusation que l'on ne peut pas porter contre Céline, qui souhaitait réveiller la conscience populaire, la prévenir contre les fauteurs de guerre, à quoi il assimile abusivement tous les juifs, comme la presse anarchiste assimila en d'autres temps tous les curés à des menteurs. Le procès fait à Céline est aussi le procès fait à une manière populaire d'écrire, sans prendre de pincettes. (...)

Céline demeure un auteur tabou. L'explication de la censure de Céline, largement "institutionnelle", on la trouve sans doute plutôt dans le climat et la culture d'après-guerre, que G. Bernanos décrivit comme le produit d'un triomphalisme, non seulement factice mais dangereux. Céline était lui-même conscient d'appartenir au camp des "perdants" et de devoir affronter un climat de chasse aux sorcières. Après tout, s'il avait été un peu plus opportuniste, à l'instar de certains de ses confrères, Céline aurait pu devenir un artiste stalinien.

Habilement, pour expliquer son intérêt pour cet écrivain maudit, C. Malavoy met en avant la "complexité" de Céline, complexité dont on peut douter qu'elle caractérise bien Céline, mais qui est perçue aujourd'hui le plus souvent comme une qualité. On pourrait au contraire plaider que Céline brille par sa capacité à redonner au style de la simplicité et de la force.

Pour le besoin de sa "Cavale", C. Malavoy se réfère à "Nord", "D'un Château l'autre", et quelques lettres où Céline relate sa fuite en Allemagne, puis au Danemark, accompagné de sa compagne Lucette (Almanzor), aussi svelte de corps que d'esprit, semble-t-il - et du chat Bébert. Demeurer en France équivalait pour Céline à une condamnation à mort, qu'il estimait ne pas mériter.

Céline a tiré du caractère exceptionnel de l'exil d'un gouvernement entier la justification de sa chronique. Les hauts responsables déchus trouvèrent momentanément refuge dans le château de Sigmaringen (Sud de l'Allemagne) (un auteur de BD néo-païennes plutôt rébarbatives, P. Druillet, a récemment révélé qu'il avait été soigné par le Dr Destouches dans ces circonstances, étant gosse). C'est sans doute ici le défaut de la BD de C. Malavoy : elle parvient à brosser de Céline un portrait, certes schématique, mais plus vrai que le portrait-charge en imprécateur hystérique auquel on est habitué ; en revanche le récit en dessin est trop elliptique pour rendre le plan plus large, voulu par Céline, d'un fiasco politique français, sur le mode burlesque ou bouffon.

C. Malavoy insiste pour montrer que l'antisémitisme de Céline n'eut pas de répercussion dans sa vie privée, et qu'il ne traita pas sur le plan amical ou professionnel les juifs différemment des non-juifs ; Malavoy souligne aussi un point plus intéressant, car paradoxal et toujours d'actualité : la germanophobie avérée de Céline. Il n'y a pas moins allemand que l'art de Céline, nettement antisocial. Céline fracasse le vase sacré du socialisme, et il souligne au passage le côté boche de cette religion, ivre de martyrs. Le goût pour la médecine et son exercice est sans doute ce qu'il y a de plus allemand chez Céline. On le voit dans la BD, dessinée par les frères Paul et Gaëtan Brizzi, jouer au proctologue pour le compte d'un officier supérieur allemand.

Sous divers déguisements, dont la construction européenne, le pangermanisme reste à la mode, qui continue de se heurter à la méfiance populaire.

Malavoy plaide aussi pour le rapprochement de la BD et de l'art de Céline, qui usent tous deux d'ellipses et d'onomatopées : "Vlang !... Braoum !... Rrrr ! Pfouitt !... elles y sont toutes."

On peut aussi accorder comme Malavoy à Céline "le génie de la caricature", d'où vient aussi son outrance.