La bibliothèque du professeur Blequin (12)

Publié le 29 septembre 2015 par Legraoully @LeGraoullyOff

Il y avait longtemps que je n’avais pas tenu de rubrique littéraire sur ce site, mais il n’est jamais trop tard pour reprendre les bonnes habitudes. Voici donc quelques livres et revues dont je vous recommande vivement la lecture…

Bruno Calvès, Brest Hier & aujourd’hui, Ouest France, 1938 : Que reste-t-il du Brest d’avant-guerre ? Rien, répond le poète ; pas grand’ chose, nuance le photographe ; plus de choses qu’on ne le croit, conclut l’historien : c’est en tout cas ce que démontre Bruno Calvès qui, armé de ses compétences de chercheur et de son appareil photographique, est parti à la recherche des sites brestois immortalisés sur pellicule avant la destruction de la ville. Le résultat ? Un opus recueillant la bagatelle de 170 photos du Brest d’aujourd’hui, mises en vis-à-vis de clichés des mêmes sites pris avant la guerre. Tout ceci pourrait inciter à la nostalgie, mais l’auteur se borne à faire œuvre d’historien et à nous livrer un aperçu des métamorphoses d’une grande ville définitivement pas comme les autres, qui n’a jamais eu le loisir de s’endormir sur ses lauriers, que son histoire a condamnée à se renouveler constamment et qui n’est pas si amputée de son passé qu’on a tendance à le croire : même le tram a bien fini par refaire surface, après tout…

Bruno Calvès vu par votre serviteur.

Il était une fois les Bidochon, Fluide Glacial Série-Or, 2015 : Dans le cadre des célébrations de son quarantième anniversaire, la vénérable revue d’umour et bandessinées animée par notre compatriote lorrain Yan Lindingre nous a mitonné un numéro spécial faisant le bilan de la glorieuse carrière des plus populaires (dans tous les sens du terme !) de ses héros. L’ensemble est bien ficelé, avec quelques-unes des meilleures histoires de la série, des interviews très intéressantes (Bruno Masure, Alex Taylor…), des documents exclusifs et même des planches totalement inédites en album, comme celles où Binet met en scène des Bidochon…arabes ! De quoi donner des cauchemars à la Morano ! Même si les fans de la série n’apprendront pas grand’ chose, on apprécie tout de même l’occasion de faire le point sur la genèse et l’évolution (comme s’ils pouvaient évoluer !) de Robert et Raymonde.

Les Bidochon vus par votre serviteur.

L’odieux connard, Qu’il est bon d’être mauvais, Seuil, 2015 : Cynique, égoïste, misanthrope, probablement assassin, il a tous les défauts de la terre, ne respecte rien et ne se cherche même pas d’excuses. Et pourtant, on l’adore. Pourquoi ? Parce qu’il dit tout haut ce que nous n’osons même pas penser tout bas, parce qu’il tire à boulets rouges sur tout ce qui rend la vie insupportable ; il est le Mister Hyde que nous rêvons tous d’avoir, il a un flair infaillible pour repérer les conneries et un talent incroyable pour en dénoncer les diverses manifestations. En somme, l’odieux connard est notre soupape : comme il sait qu’il est complètement pourri, il ne cherche pas à sauver les apparences et assume donc à notre place la responsabilité des méchancetés que nous n’osons pas exprimer en public. Si vous avez déjà rêvé, sans jamais passer à l’acte, de donner des baffes aux enfants des films américains, d’envoyer chier les pédagogues, de dire merde aux psychanalystes ou de traiter d’escroc un « artiste incompris », ce livre est fait pour vous ; si vous n’êtes dans aucun de ces cas mais que vous avez envie de rigoler un bon coup, ce livre est fait pour vous aussi !

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, 2010 : Il parait que son dernier livre n’est pas à la hauteur des attentes du public ; reportons-nous donc à ses autres romans, par exemple celui-ci où elle se met elle-même en scène, entretenant une correspondance improbable avec un soldat américain basé en Irak et ravagé par l’obésité – un thème récurrent dans son œuvre, qu’elle exploite ici jusqu’à la limite de l’épuisement du filon. Il est notoire qu’Amélie Nothomb répond à toutes les lettres qu’elle reçoit : malgré ce lien privilégié qu’elle a noué avec le public, elle reste entourée d’une légende qui lui colle à la peau ; avec ce roman où elle assume totalement les maladresses qu’elle peut commettre en répondant à « une lettre d’un genre nouveau » ; elle remet les pendules à l’heure et rappelle qu’elle est une femme comme une autre, qu’elle n’est pas la créature cynique et blindée qu’on imagine : par la même occasion, elle énumère ce qui peut l’exaspérer dans une lettre et que vous devrez donc éviter si l’envie vous prend de lui écrire – et l’envie vous en prendra forcément quand vous aurez lu ce livre : la démarche de se mettre soi-même en scène dans une fiction pourrait être exaspérante et prétentieuse, mais avec Nothomb, elle n’est que drôle et malicieuse. Sans aller jusqu’à dire qu’Une forme de vie est le plus beau et le plus innovant de ses livres, ce n’en est pas moins un récit ingénieux et bien ficelé servi par l’écriture fluide et le vocabulaire riche d’une romancière attachante.

Zep, Happy parents, Delcourt, 2014 : En BD, il y a peu de choses moins commerciales (suivant les critères des têtes de pioche du marketing, bien sûr) qu’un recueil de planches dont les héros changent d’une page à l’autre, et si un auteur débutant s’était présenté à un éditeur avec Happy parents, il n’aurait probablement aucune chance d’être pris ; mais il se trouve que cet album a été dessiné par Zep, dont tous les éditeurs acceptent le travail les yeux fermés. Tout cela n’enlève rien au mérite du créateur de Titeuf car tous les auteurs à succès ne prennent pas forcément la peine, comme lui, de se renouveler et de surprendre leurs lecteurs : c’est d’autant plus à son honneur que ses planches sur la vie de famille ne sont pas que drôles, elles sont aussi authentiques, elles confirment qu’il mérite amplement son succès en tant qu’il est un des auteurs de BD les plus sensibles, les plus subtils et les plus lucides de sa génération. Happy Parents rappelle sans fard que nos chers enfants sont parfois pénibles, mais Zep se sert de leurs bêtises pour montrer à quel point les adultes sont ridicules. Je vous en supplie, n’en restez plus au stade des blagues pipi-caca quand vous le lirez…

À bientôt pour de nouveaux coups de cœur littéraires.

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