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Gérard Cartier, Le Voyage de Bougainville par Marie-Claire Bancquart

Publié le 01 octobre 2015 par Angèle Paoli

Gérard Cartier, Le Voyage de Bougainville,
Éditions de L'Amourier, Fonds Poésie,
Collection dirigée par Alain Freixe, 2015.

Lecture de Marie-Claire Bancquart

G érard Cartier a déjà publié de nombreux recueils, qui se caractérisent par un fort rattachement au temps de l'histoire, trait assez rare dans notre poésie d'aujourd'hui.

Né à Grenoble, près du Vercors, Gérard Cartier revient souvent sur la Résistance, ses aventures et grands moments, et les secrets qui l'entourent encore. Elle l'attire comme l'héritage d'une énergie particulière. Avec Le Voyage de Bougainville, le poète nous fait entendre une voix très différente. On sait que le grand navigateur du XVIIIe siècle découvrit des mondes inconnus, et des peuples à la morale et aux croyances très différentes des nôtres, et que Diderot devait célébrer dans son Supplément au voyage de Bougainville.

Au premier abord, le livre de Gérard Cartier peut sembler bien loin de cet écrivain : il aborde en effet, successivement, l'ensemble des connaissances de notre temps, " histoire naturelle ", " géographie ", " sciences ", " histoire ", " littérature ", dans des suites de poèmes dont les pages sont couronnées par des indications propres à chacune des sciences : en latin (mais facile à comprendre) pour l'histoire naturelle, en longitudes/latitudes pour la géographie, etc.

C'est dire si la structure est travaillée. Mais ce n'est pas pour dessiner une courbe ascendante. Car chacune des suites marque une évolution négative. Ainsi la " géographie " n'offre certes pas la suite de découvertes intéressantes de Bougainville, mais évoque la mort, le sexe décevant, les mauvais compagnons, les opprimés, les lieux inquiétants, ou malsains, ou médiocres.

C'est dans " Histoire naturelle " que se manifeste le plus évidemment un ton personnel de séparation, de malaise, de futur bouché. On sait que Gérard Cartier est un ingénieur de haut niveau, qui a travaillé à Eurotunnel (tunnel sous la Manche) et pour la liaison transalpine Lyon-Turin. Ces travaux apparaissent avec des aspects pénibles dans " Histoire Naturelle ", à la page titrée " Homo sapiens " : les pieds glissent dans la boue, suivent le " dédale d'oubliettes ", parmi des fragments de squelettes ; tout cela évoque fortement notre destin de " singe barbouillé de latin " et " destiné à mourir en scène ", comme Molière...

Est-ce à dire que le livre veut exprimer une déception totale, ou du moins une angoisse majeure ? - Non, mais un état de recul, d'examen personnel, que le poète compare aux examens spirituels des Chartreux voisins de son lieu de naissance. Gérard Cartier a écrit son recueil au moment où il atteignait l'âge de la retraite, qui signifiait, compte tenu de son métier, un changement radical de son mode de vie.

Voici donc un témoignage très intéressant sur un temps de la vie. Ce moment de pessimisme, de désenchantement et d'interrogation, bien des lecteurs l'ont connu, le connaissent ou auront à le connaître. Ils auront le privilège d'en lire l'évocation dans cette belle langue qui est propre à Gérard Cartier, avec ses césures qui rythment les vers de manière inégale, et donnent un dynamisme à l'ensemble.

Quant à un renouveau des intérêts profonds du poète, quelque chose nous dit que dès maintenant, nous pouvons peut-être avoir des raisons de l'espérer... mais laissons un peu de temps au temps...

Marie-Claire Bancquart
D.R. Texte Marie-Claire Bancquart

Gérard Cartier,  Le Voyage de Bougainville    par Marie-Claire Bancquart


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