La famille comme modèle de conversion de l’Église

Publié le 14 octobre 2015 par Numero712 @No_712

Et si nous retournions le problème dans l’autre sens ? Et si au lieu de nous attacher à savoir ce que l’Église peut apporter aux familles, comment l’Église doit modifier sa discipline ou sa pastorale pour mieux guider les familles, nous nous interrogions à savoir en quoi les familles peuvent évangéliser l’Église, peuvent la guider à être une plus fidèle épouse du Christ une meilleure mère pour l’ensemble des baptisés ?

Le titre de l’instrumentum laboris de la XIVe assemblée générale ordinaire du Synode des évêques peut en effet donner lieu à un renversement de la perspective par rapport à ce que nous en voyons dans les média : « La vocation et la mission de la famille dans l’Église et dans le monde contemporain ».

1. Des valeurs du christianisme insuffisamment présentent dans nos cœurs

On parle souvent des valeurs « féminines » du christianisme : bienveillance, charité, miséricorde… et l’on entend trop souvent dire que nous vivons dans des sociétés d’origines judéo-chrétiennes. De ces deux assertions, je sens poindre le risque de considéré que notre (vieil) occident aurait assimilé la vérité évangélique, qui aurait façonné notre monde. Ainsi, il peut être facilement tentant de se considérer comme les enfants d’une culture ayant assumée l’héritage de cette « culture » judéo-chrétienne.

A bien y regarder, ce raccourcis est peut-être réducteur et nous épargne quelques remises en cause de nous-même. Aux origines, les apôtres ont évangélisé le monde gréco-romain et le message du Christ et de ses apôtres ont ainsi infusé une aire d’influence dont l’organisation sociale et les structures « intellectuelles » étaient très patriarcales et d’origine très belliqueuse (c’étaient deux empires qui s’étaient bâtis par le glaive). Par comparaison, le petit peuple hébreux pouvait paraitre bien angélique (même si…). C’est sur ce premier socle culturel que la pensée « philosophique » ou la théorisation et la structuration du christianisme naissant s’est formée. Les peuples « barbares » qui (période des grandes invasions) se sont « inculturés » dans le christianisme pour fonder sur les ruines de Rome la société féodales étaient aussi des peuples de tradition guerrière et patriarcale.

On a donc très probablement un tropisme historique et culturel qui a aussi reçu, perçu, interprété et finalement influencé le christianisme au cours des premiers siècles de son histoire. Nous sommes sans doute très certainement les héritiers d’un christianisme trop patriarcal, trop fondé sur des valeurs « masculines » (comme l’ambition, le goût de la réussite, le goût de la compétition…) de notre culture gréco-romaine. La théologie et notre façon de recevoir les écritures a sans doute été marqué par ce prisme implicite.

C’est pourquoi, un certain aggiornamento est sans doute nécessaire pour « encore élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église » (Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, § 103.). Aux yeux du Pape François, « il ne fait aucun doute que nous devons faire beaucoup plus en faveur des femmes ». Non seulement la femme doit être « davantage écoutée », mais sa voix doit avoir « un poids réel », « une autorité reconnue, dans la société et dans l’Église » (Pape François, Audience générale du 15 avril 2015).

Sur ce point sans doute, les évolutions des structures et des histoires familiales qu’ont connues nos sociétés occidentales ces dernières décennies peuvent sans doute contribuer très certainement à enrichir la réflexion de l’Église sur la place des femmes parmi la famille des baptisés.

La place des femmes au sein des couples (et plus généralement des familles) a considérablement évolué au fil du temps et principalement au cours du XXe siècle. Ces évolutions pourraient être analysées autour de deux prismes : d’une part la place des femmes dans l’Église et d’autre part la place et la mission de l’Église en tant qu’épouse du Christ. Sur ce second aspect, il nous appartient peut être d’essayer de mieux recevoir cet appel aux noces de l’Agneau. Comment pouvons-nous comprendre aujourd’hui ce que signifie que l’Église est « épouse du Christ » ? Quelle différence, quel parallèle peut-on faire avec cette notion et celle de l’Église définie comme « corps mystique du Christ », quand on sait que « Dieu créa l’Homme à son image ; à l’image de Dieu il le créa ; Homme et Femme il les créa » (Gn 1, 27) et que « c’est pourquoi l’homme quitte son père et sa mère, il s’attache à sa femme et ils ne font qu’une seule chair.  » (Gn 2, 24) L’Église du Christ ne fait-elle plus qu’une seule chaire avec le Messie ? Comment vivre cette vocation à l’amour en tant que peuple de baptisé ? L’exemple de la famille peut-il nous donner des indices ?

2. Découvrir la vocation de l’Église comme une famille pour l’humanité

Qu’est-ce qu’une famille ? un homme et une femme, qui quittent leurs parents pour devenir une seule chaire, pour « fonder une famille », c’est-à-dire pour être ouvert à l’accueil de la vie. C’est donc en premier lieu une alliance qui est appelée à « porter du fruit » que ce soit avec des enfants pour les familles qui ont la bénédiction d’en avoir, ou à travers d’autres formes de fécondités pour celles qui n’ont pas cette grâce.

Le mariage a été élevé par l’Église à l’état de sacrement car cette alliance serait un signe visible de l’alliance de Dieu et de son peuple, donc d’une certaine manière un témoignage, une bonne nouvelle pour le monde.

Structure première de la société, la famille a vocation à être un exemple prophétique pour le peuple de Dieu en marche. Si le pape François appelle de ses vœux l’Église à être un « hôpital de campagne », on peut aussi appeler l’Église à être une famille : aimante, chaleureuse, accueillante… une famille où les époux se donnent du temps et de l’attention pour entretenir et faire croitre la flamme de leur amour, une famille qui ait à cœur d’inviter ses enfants à s’aimer fraternellement, une famille qui éduque ses enfants en ayant le souci de les conduire avec discernement à leur épanouissement propres en fonction de leurs charismes et de leurs possibilités.

C’est à nous, peuple de Dieu constitué en Église, que pourrait alors s’adresser ce commandement : « Développez-vous, multipliez-vous, remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1, 27) qui résonne alors avec l’appel du Christ : « Allez donc et faites-moi des disciples de toutes les nations » (Mt 28, 19). Corps vivant sur la vigne du Seigneur nous sommes appelé à donner beaucoup de fruits !

3. Méditer les exemples des familles pour enrichir notre communion ecclésiale

Peut-être par un signe du destin, alors que j’étais en train d’écrire ce billet, j’ai vu ce tweet : « Un croyant qui ne parle que de détails moraux, liturgiques etc… C comme un couple qui ne parle plus que des courses : pas bon signe » Outre le fait que cela m’a fait sourire, j’ai trouvé qu’il ferait une bonne introduction pour cette troisième partie pour illustrer quelques allégories de la vie de famille qui pourraient nourrir notre façon de comprendre notre vie « en Église ».

Trois points peuvent ici particulièrement être évoqués pour parler de la famille : le couple, les enfants, le foyer.

a) Le couple

Je me souviens qu’à notre mariage, un couple d’ami qui avait déjà traversé de douloureuses épreuves nous a dit : « souvenez-vous toujours pourquoi vous vous êtes mariés. » De même à nous chrétien, il nous faut nous rappeler l’alliance « faite à [nos] pères » (Jr 34, 13), la mort du Christ sur la Croix et la Résurrection comme signe d’une nouvelle alliance (ou comme confirmation de la première alliance).

La question est alors de se rappeler les promesses de notre baptême qui nous a fait entrer dans la vie spirituelle de l’Église du Christ comme le mariage nous a fait entrer dans la vie de couple. Au quotidien de la vie de couple, il faut s’appuyer sur ce que l’on veut partager, comme le pain eucharistique, sans doute point de focale de toute vie religieuse. Savoir que l’on peut compter l’un sur l’autre dans le couple. Ce qui donne une aspérité particulière au Tweet du Pape François : « Apprenons à vivre la solidarité. Sans la solidarité, notre foi est morte. » que cette solidarité ne soit pas seulement celle des chrétiens les uns pour les autres, mais aussi celle de chacun d’entre nous avec l’Époux de notre Église. Fonder notre vie chrétienne sur la confiance en notre Seigneur et vouloir qu’Il puisse aussi avoir confiance en nous. Oui, Seigneur, je veux être un fidèle ouvrier à Ta vigne, je veux que Tu saches que Tu peux compter sur moi (sur mes maigres forces) pour rentre témoignage de Ton amour pour nous les hommes.

Attaché à ce point de focal particulier de notre union, j’en reviens au tweet amusant de Sainte Provocation pour dire que dans le couple, il est important de travailler les forces qui nous unissent l’un à l’autre. Ce n’est pas parce que nous nous sommes dit « oui » un jour que c’est tout naturellement « oui » pour la vie. Ce « oui », il faut l’entretenir, il faut vouloir le faire vivre, l’actualiser. Et oui, il peut y avoir des disputes, « des assiettes qui volent » à propos des courses (la dernière dispute en date d’ailleurs à la maison portait sur des courses que j’avais fait « en trop grande quantité ») ou d’autres détails futiles. Si nous profitons de notre moindre désaccord sur tel ou tel point de détail, le couple cours au divorce comme les débats sur la forme liturgiques ne font que provoquer un schisme de plus entre les chrétiens.

Il est important au-delà de nos sensibilités diverses chercher à entretenir ce qui nous unis pour être toujours plus un couple que deux individus (même s’il convient que chacun garde aussi son espace de singularité). Comment tenir dans l’Église cette ligne de partage ?

b) l’éducation des enfants

Sur ce délicat sujet, on ne peut s’en tenir au « aime et fais ce que voudras » de Saint-Augustin, même si la suite de la citation apporte un peu de lumière « Aime et fais ce que tu veux. Si tu te tais, tais-toi par amour, Si tu parles, parle par amour, Si tu corriges, corrige par amour, Si tu pardonnes, pardonne par amour. Aie au fond du cœur la racine de l’amour : De cette racine, rien ne peut sortir de mauvais. »

L’éducation des enfants est sans doute un des principaux défit de la famille au quotidien et sur le long terme. Il s’agit d’une part de « transmettre » (des règles, des valeurs, des acquis, des savoirs faire…) et d’autre part et savoir « discerner » la potentialité propre à chacun pour le conduire vers le plus grand « épanouissement » de lui-même en fonction de ce qu’il est.

Ces deux points peuvent nous inspirer dans notre vocation de baptisé (prêtre, prophète et roi) et dans la mission d’enseignement de l’Église. Aujourd’hui les éléments « disciplinaires » ne sont pas compris ou sont perçues comme une exclusion et un rejet de la personne « sanctionnée ». Lorsque l’on est parent, on peut être conduit à punir son enfant sans pour autant le rejeter (ou ne plus l’aimer) ! Encore heureux ! Si #babygirl fait une bêtise, en fonction de la gravité, je vais « faire les gros yeux », élever la voix, la « mettre au coin », la priver de chocolat, ou procéder à un assortiment de plusieurs de ses configurations. Et pourtant, même en sanctionnant, je continue à l’aimer infiniment. Pour avoir été enfant aussi, je sais que comprendre que nos parents nous grondent « parce qu’ils nous aiment » (alors qu’il serait souvent plus facile sur le moment de ne rien dire, de laisser passer) c’est quelque chose qui est loin d’être évident. Je crois même que lorsque l’on est petit, c’est quelque chose que l’on ne « comprend » pas vraiment. On aime ses parents, on sent bien qu’ils vous aiment, mais il y a un temps d’incompréhension du lien substantiel entre l’amour et la sanction.

J’ai l’impression que c’est souvent notre cas devant certaines « sanctions » de l’Église. C’est comme si nous ne percevions pas qu’au travers de ces règles disciplinaires, l’Église voulait nous « convertir », voulais faire croître en nous les dons de l’Esprit… pour que nous portions beaucoup de fruit. Comment pouvons-nous, peuple de baptisés, dépasser cette contradiction ?

Le second temps est celui de l’individualisation de l’éducation des enfants. Il pose aussi la question de l’individualisation de l’enseignement de l’Église : comment adapter notre façon de parler pour être audible et pour conduire chacun sur son propre chemin à la suite du Christ. Se poseront alors des questions d’inculturation, d’autonomie des églises particulières, l’accompagnement spirituel (l’ancienne « direction de conscience »).

L’éducation des enfants ne se fait plus aujourd’hui comme hier ; on est dans un temps d’explication, beaucoup plus de « négociation » parfois aussi pour conduire ses enfants « graduellement » là où nous voulons les emmener. Pouvons-nous méditer et murir ces exemples pour que l’Église soit une mère aimante pour chacun d’entre nous, pour que nous soyons une mère les uns pour les autres ?

c) fonder un foyer accueillant

« Aujourd’hui se vit le paradoxe d’un monde globalisé, où nous voyons beaucoup d’habitations luxueuses et de gratte ciels, mais de moins en moins de chaleur de la maison et de la famille » nous enseignait le pape François dans son homélie de la messe d’ouverture du Synode cité plus haut. De même que nous savons apprécier un environnement familiale propice à la chaleur humaine qui se donne et se partage, l’invitation du Pape à avoir une Église aux portes ouvertes sur le monde prend tout sens ici.

Nos assemblées sont-elles gaies, chaleureuses et accueillantes ? Sommes-nous prêt à accueillir avec chaleur et bienveillance le dernier « petit copain en date » de notre fille ? suis-je prêt à accueillir ma belle-mère et ses mêmes histoires quelle répète sans cesse ? les copains de mon mari qui viennent voir le match de foot ce soir à la télé ? De même dans nos communautés, savons nous donner envie aux uns et aux autres de venir voir ?

Le constat de ce que je vois autour de moi, et par la chance qui m’est donnée de vivre dans un couple mixte, c’est que nos assemblées sont hélas bien froides et repoussante pour celui qui est « à l’extérieure » (malgré parfois une grande tolérance dont je peux témoigner). Alors point n’est besoin de chercher si le regard de l’autre est biaisé, s’il « ne cherche pas à comprendre », force est juste de recevoir ce constat là comme un don, comme un appel à nous convertir pour que l’amour et la joie de Notre Seigneur se voient véritablement sur nos visage. Que nous ayons des « gueules de ressuscité » et pas des « mines de carême » pour faire envie, pour interroger, pour rendre témoignage de notre grande espérance.

Conclusion

J’ai voulu me livrer à un exercice de jeu de miroir sur le « sujet à la mode », le synode en cours à Rome, à la suite d’une « boutade » (ou pas…) d’un évêque qui se serait demandé « si, les évêques, célibataires, ne mettent pas sur les épaules des couples un fardeau lourd qu’eux-mêmes ne seraient pas sûrs de pouvoir porter« . A boutade d’évêque, billet de blogueur… à bon entendeur !