Hagra

Publié le 08 juin 2008 par Ali Devine

Paroles d’émeutiers : l’école

A l’école, les cours étaient des leçons dictées mot à mot par le prof. On dirait qu’on était des robots, on ne devait pas parler, ni intervenir sinon on se faisait punir directement. En plus, dès qu’on comprenait pas une chose, le prof s’en foutait, il disait qu’il fallait lire le livre et qu’après on comprendrait. Alors à quoi ça sert de venir en classe ? […] Donc moi, j’ai redoublé deux fois en troisième, j’étais pas très bon. […] Après, ils m’ont proposé un BEP en plasturgie mais je n’ai pas voulu car c’était un vieux truc. Donc, après j’ai mal tourné. […] Quand je vois des amis et mon grand frère qui sont diplômés avec des bac + 5 et qui travaillent dans des supermarchés comme agents de sécurité, c’est quoi ce truc de fou ?! Je comprends rien. Ils ont fait des études, ils se sont pris la tête, et après ils terminent [comme ça], c’est pas juste. Donc, tu vois que l’école ça apporte que la galère au final. […] Lors des émeutes, j’ai voulu participer grave car ces bâtards de profs s’en foutent de nous, ils sont payés des barres et des barres et ils font même pas leur taf de soutien aux élèves en difficulté. Donc, je te dis la vérité, j’ai brûlé des voitures près du lycée pour leur montrer qu’on existe et qu’on ne va pas se laisser niquer. […] On a rien à perdre vu qu’ils ont baisé nos vies. […] ils savent pas qu’on doit faire des putains d’efforts. On n’a pas papa et maman qui nous aident quand on rentre à la maison pour nos devoirs. La plupart des mecs, leurs parents, les pauvres, ils savent même pas lire et écrire. Alors si à l’école ils ne prennent pas le temps de nous expliquer, ça sert à rien. C’est foutu d’avance. (S…, 20 ans, sans travail, petit dealer de cannabis.)

Moi aussi, j’ai participé aux émeutes et j’en suis fier, c’était pour tout retourner et enculer les keufs, ces sales bâtards qui se la racontent trop. Je suis dégoûté parce que je voulais aussi qu’on brûle ce lycée de merde avec ces profs racistes. Je te jure, je mitonne pas, si j’ai réussi à avoir mon bac c’est pas grâce à ces chiens de profs. Ils auraient préféré que je fasse un BEP. C’est grâce à mes frères, qui m’engueulaient quand je ne bossais pas, que j’ai eu mon bac. Par exemple, je te jure, la prof, Mme M…, tu sais ce qu’elle m’a dit ? « Je suis déçue que vous ayez eu votre bac. » C’est pas un truc de ouf ? Maintenant, je sais très bien que personne ne va me croire quand je dis que certains profs sont racistes. Mais moi, je sais de quoi je parle. Je l’ai vécu en direct. […] J’ai vu plein de potes se faire « hagar » [humilier] pour rien par des profs juste parce qu’ils les aimaient pas. Je reconnais que certains abusaient mais, ma parole, faut reconnaître aussi qu’il y a des profs qui usent de leur autorité pour flinguer l’avenir de certains élèves. […] Alors voilà, tu sais ce que j’ai fait ? On est partis avec des potes, on a pris de l’essence et on a brûlé l’entrée du lycée. Mais les keufs sont venus et on s’est sauvés. Dommage, sinon le lycée aurait brûlé. […] La « hagra » [humiliation] des keufs et celle des profs, c’est la même. C’est des gens qui abusent de leur putain de pouvoir sans peser les conséquences de leurs actes. Les profs se disent pas : « C’est déjà un mec en difficulté, pourquoi je vais l’exclure et le mettre davantage en difficulté. » Ils en ont rien à foutre de son avenir ! (M…, 20 ans, bachelier, chômeur.)

Pour moi, la grande faute de ces émeutes c’est surtout l’école ! L’école, c’est un endroit où on doit apprendre des choses, ils doivent nous expliquer, mais en fait l’école est devenue un endroit où on jette les mecs comme moi, on leur donne pas de chance de s’en sortir, on fait tout pour nous virer et garder les Français. Même quand des gens comme moi réussissent, ils finissent par travailler avec des personnes sous-diplômées ou bien dans des postes qui leur conviennent pas. C’est ça la réalité. […] moi je travaillais normal sans plus, mais j’étais un peu distrait avec mes potes en cours. Mes profs se moquaient toujours de moi devant les autres au lieu de m’encourager et de m’expliquer les choses. Des fois, les profs nous calculaient même pas, ils nous laissaient seuls dans notre coin et faisaient participer les meilleurs, ils parlaient entre eux et, souvent, ils nous jetaient dehors pour être tranquilles entre eux, tu vois. Moi je ressentais du dégoût. […] Ça fait mal de voir qu’on est pris comme un idiot ! […] L’école ne sait pas qu’elle peut faire du mal si elle n’est pas à l’écoute des autres. L’école a baisé ma vie et ça j’oublierai jamais ! […] Franchement, j’ai la rage contre les profs parce que s’ils avaient pris le temps de nous prendre en main, on serait pas là aujourd’hui à bicrave [revendre] des bouts de shit en risquant notre peau. (R…, 18 ans, sans travail, petit dealer de cannabis.)

Moi, ce que je voulais pendant les émeutes, c’était brûler le lycée parce que c’est eux qui ont baisé mon avenir. En fait, moi, quand j’étais à l’école, j’étais pas très bon mais j’essayais de travailler de mon mieux. En classe, j’avais du mal à suivre certains cours […]. Quand je demandais au prof de m’expliquer certaines choses, il me disait que j’avais qu’à voir les meilleurs de la classe et qu’il n’allait pas prendre du retard sur son programme. Un jour, je lui ai dit que je ne comprenais pas un truc dans son cours et il m’a dit : « J’ai pas le temps et en plus toute la classe sait ça. Qu’est-ce que tu fais dans cette classe, tu es vraiment nul et irrécupérable. » J’avais la honte car tous les élèves se marraient et m’observaient avec leurs regards. […] En plus, comme j’étais le seul rebeu, j’avais honte d’aller voir les têtes de la classe surtout après les réflexions humiliantes du prof. Ce qui fait que dans les contrôles j’avais des vieilles notes. Quand je rentrais à la maison, je me faisais « savate » par mon père. Il me disait que l’école avait toujours raison et que c’était de ma faute. Moi je sais qu’il fallait travailler à la maison mais quand t’as pas compris les cours en classe, comment tu veux réviser à la maison ? Très franchement, j’ai baissé les bras au bout de quelques mois, je faisais plus rien. J’allais en cours pour mes parents, mais moi j’en avais plus rien à foutre. […] Et à la fin de l’année, pour l’orientation, ils m’ont pas raté. J’étais bon pour le BEP carrosserie. […] Avec du recul, j’ai la haine contre ces chiens du système scolaire parce que oui, ils m’ont niqué mon avenir et moi, comme un con, je suis rentré dans leur jeu. » (S…, 19 ans, sans travail, petit dealer de cannabis.)

Dans Laurent Muchielli, avec la participation d’Abderrahim Aït-Omar, « Les émeutes de novembre 2005 : les raisons de la colère » ; Quand les banlieues brûlent. Retour sur les émeutes de novembre 2005, sous la direction de Laurent Muchielli et Véronique Le Goaziou, La Découverte, édition revue et augmentée, 2007 ; p. 27-29.

NB : les coupures ([…]) sont dans le texte d’origine.