Les robots guerriers se multiplient. Après la mule américaine BigDog, la sentinelle sud-coréenne SGR-A1 et diverses autres créatures, la Russie a sorti ces derniers mois un redoutable combattant, Platform-M, un petit char lourdement armé et doté d'autonomie. L'engin est apparu pour la première fois en public le 9 mai à Kaliningrad, lors du défilé militaire qui a commémoré le 70e anniversaire de la victoire de l'Union soviétique sur le nazisme. Puis il a participé à d'importants exercices militaires dans la région en donnant, selon Moscou, entière satisfaction.
Platform-M dispose de nombreux atouts. Il est à la fois capable de se faufiler aux quatre coins d'un champ de bataille, grâce à sa petite taille et à ses chenilles, et de tirer sur une large gamme de cibles, avec son fusil Kalashnikov et ses lance-grenades, que peuvent remplacer des missiles antichar. Surtout, il est susceptible de se mouvoir et de tirer extrêmement vite grâce à son haut degré d'automatisation. Et bien qu'il soit en principe télécommandé, il bénéficie d'une certaine autonomie au moment d'"acquérir" et de "traiter" une cible.
Le robot a été programmé pour se coordonner avec différentes machines, d'autres Platform-M ou des petits drones de reconnaissance, par l'intermédiaire d'un "ordinateur central". En cours de mission, les drones transmettent leurs observations au cœur du dispositif qui relaie ces renseignements auprès des robots. Les uns et les autres emploient des logiciels suffisamment sophistiqués pour distinguer, à partir d'images et de sons, un individu armé d'une personne non armée, un véhicule civil d'un engin militaire. Et pour déterminer s'ils doivent tirer ou pas.
Une direction humaine aux moments-clés est généralement considérée comme bénéfique, dans la mesure où elle est susceptible de corriger les erreurs des robots. Mais elle perd de sa pertinence dans certains contextes, explique le mathématicien français Thierry Berthier, chercheur au sein de la chaire de cyberdéfense & cybersécurité à Saint-Cyr et auteur d'un récent article à ce sujet sur le site Diploweb. "S'il s'agit de neutraliser un ou deux snipers, un intermédiaire humain peut être utile, précise le spécialiste. Mais il vaut mieux éviter ce genre d'interférences lors d'un affrontement avec une troupe nombreuse, quand la vitesse de tir devient primordiale." Les hommes sont tellement moins rapides que les machines...
L'usage de Platform-M est particulièrement indiqué sur ces champs de bataille très meurtriers que constituent les villes. C'est sur un tel théâtre, d'ailleurs, que l'armée russe a placé ses nouveaux robots lors des grandes manoeuvres de Kaliningrad, indique Thierry Berthier. Les machines engagées ont alors reçu la mission de neutraliser des groupes insurgés en contexte urbain aux côtés de commandos parachutistes, appuyés pas des troupes de marine et des avions de combat.
Un autre usage de ce genre de dispositifs est le déminage. De nombreux robots sont déjà attelés à cette tâche dans toutes sortes d'armées et de forces de police. Mais ces appareils sont télécommandés et supposent donc la mobilisation permanente d'une personne à leur service. Un engin autonome, lui, est capable de se déplacer, de repérer les mines et de les détruire sans concours extérieur.
La Russie a créé la surprise en sortant soudainement Platform-M. A l'heure où elle multiplie les interventions à l'extérieur de ses frontières, elle vient rappeler son important savoir-faire en matière de robotique militaire. Une expertise longuement acquise au cours de la guerre froide et à l'occasion de la conquête spatiale, grande consommatrice de robots en tout genre.
Il reste à savoir si Platform-M va bientôt se retrouver sur un vrai champ de bataille. En Syrie, par exemple, où l'armée russe a commencé de s'engager. "Les manoeuvres de Kaliningrad ont validé ses performances et un terrain d'expérimentation s'offre à lui, observe Thierry Berthier. Dans ces circonstances, Moscou doit être tentée de le tester en situation de guerre afin de l'améliorer encore."
Allain Jules/Etienne Dubuis/Le Temps