Stationnement Gênant.
Publié le 09 juin 2008 par Mélina Loupia
Encore une semaine chaotique qui vient heureusement de s'achever sous de meilleurs augures qu'elle n'avait commencé.
En effet, la fièvre du lundi, où j'avais dû faire sonner mon réveil trois fois avait laissé place à deux levers le mercredi matin, et un aller-retour pour la gloire jeudi.
" Systématiser les ventes associées, donc on va t'apprendre ce que tu sais déjà faire depuis plus de quinze ans.
-Exactement, c'est ce que j'ai rétorqué poliment au chef qui m'a envoyé chier en me disant que je devrais être content d'aller à Paris.
-Oué, cinq heures de TGV, une nuit d'hôtel en banlieue, six heures de formation et cinq heures de TGV, sans compter les deux heures pour aller et rentrer de la gare. Super. Et pendant ce temps, je
jongle avec les horaires de la mairie, des bus des petits et la radio. Mais ça, jamais on te fera une formation pour concilier le boulot avec la famille, tu penses. J'espère que t'avances aucun
frais au moins.
-Ah non, ça va aller comme ça les emmerdes. Avec les quatre cents Euros pour ressusciter Cariolette, les dépenses imprévues, c'est bon.Bon, je vais faire mon sac.
-N'oublie pas ta brosse à dents."
Un repas rapide pris sur place dans la salle à manger largement avant l'heure du premier service syndical et une chaude étreinte plus tard, me voilà mère active célibataire pour un peu plus de
vingt-quatre heures, avec un emploi du temps de secrétaire d'état à l'enfance, travail, environnement et transports.
J'ai dû faire appel à mes nounous d'enfer personnelles qui sont accourues à la première sonnerie de téléphone désespérée.
"J'ai complètement zappé que Copilote partait en formation à Paris et je dois être demain à la radio à sept heures et au même moment devant l'arrêt de bus des grands et du coup je serai pas là pour
amener les petits pour huit heures et aussi après demain, je dois aller chercher Copilote au boulot puisqu'il aura ramené la voiture de location au magasin de voitures de location et que du coup il
sera sans voiture et que du coup, j'aurai pas le temps d'aller faire des courses et que même si je les ai faites mercredi, j'avais pas prévu d'oublier que j'avais huit personnes à manger samedi et
que du coup...
-Tu vois ça, c'est des clés de voitures, en échange de celles de ta maison, je m'occupe de ce qui ne peut décemment pas rentrer dans ta journée, tout ce qui dépasse de ton agenda, c'est pour moi.
Les mamans et les soeurs, c'est fait pour ça.
-Ok, alors je me détends?
-Voilà. Et tu fermes bien toutes les portes ce soir. Des fois que les sangliers reviennent deux fois sur les lieux du crime."
Alors qu'il entrait définitivement dans l'Est européen, Copilote me passe un petit coup de fil, le nez collé à la vitre du TGV.
"Je vais pas tarder à arriver, j'ai vu que des panneaux en "Y" depuis un moment.
-Alors bientôt Paris. Le trajet a pas été trop long?
-Comme un trajet en TGV non-fumeur de cinq heures pour me retrouver comme un con dans un hôtel pourrave la veille d'une formation de merde.
-... M'en parle pas, ça fait pas huit heures que t'es parti que je débarute déjà. Je sais plus à quelle heure on va manger vu qu'on mange quand tu rentres du taf, et demain, je me rappelle plus ce
que je dois faire ou pas au juste. T'as pas été à la bourre à la gare?
-Oui et non. Non parce que je suis dans le train et sur le point d'arriver, oui parce que j'ai juste eu le temps de me garer en vitesse pour choper le train à temps.
-T'as composté ton billet au moins?
-Oui, et bien fermé la voiture de location. J'espère que je vais la retrouver demain.
-Bon, moi j'espère que y a le wi-fi à l'hôtel.
-Moi aussi, pour me connecter à WOW.
-Salaud.
-Mais non vas, je mettrai MSN. Allez c'est bon, j'arrive. Des bisous.
-'Ce soir."
J'ai réussi à faire manger mon trio momentanément orphelin de père et alors qu'il rêvait déjà au week-end à venir, voilà que mon portable sonne et que par miracle, je le trouve avant que le
répondeur se mette en route, me promettant des messages d'insultes de la part de mes interlocuteurs vexés de ne jamais m'avoir au bout du fil.
"Tain, j'arrive pas à chopper le réseau de l'hôtel.
-T'as mangé?
-Oui, comme un con tout seul, j'ai bu le café dehors, ça pue, c'est gris et y a du bruit tout le temps, partout, de partout. J'ai bu un coca à six Euros dix que j'ai dû avancer, tout comme
visiblement la note d'hôtel et le taxi... Merci le pays où on est bien chez soi et bien moins cher hein.
-Bé t'es pas chez toi, alors forcément...
-Ah ayé, j'ai du réseau. Bon, j'ouvre mon MSN, à de suite.
-Ok."
Je m'apprêtais alors à vivre ce que Jérémy vit actuellement avec sa belle du moment, une conversation palpitante entre deux amoureux transits que la distance sépare et rend impatient de se revoir
enfin.
"Re.
-Re.
-Bon, je ferme MSN, ça me fait trop ramer WOW, je t'appelle demain matin, je vais tenter de me faire réveiller par mon téléphone.
-Tu sais, je serai à la radio à sept heures et demies, tu veux que je t'appelle pour te réveiller?
-Ah oué, bonne idée. Allez, à demain.
-'Demain."
La mort dans l'âme, je décide de tuer le temps en complétant et télé-transmettant ma déclaration de revenus, qui m'annonce d'un message morne que compte tenu de mes déclarations, j'aurai droit à un
crédit d'impôts de cent dix-neuf Euros.
Ravie d'avoir gagné ma soirée mais perdu mon mari dans les méandres de WOW, je pars me coucher après avoir identifié la foultitude de bruits domestiques qui font vivre ma maison immobile.
C'est à huit heures quarante que j'appelle Copilote pour le réveiller comme prévu à sept heures trente.
"Tain désolée, j'ai complètement zappé que je devais te réveiller.
-Pas grave, j'avais réussi à régler mon téléphone. Et là, j'attends le taxi.
-Fait beau?
-Non, fait gris, mais on m'a dit hier qu'ici, il fait toujours gris, et que le soleil, il est par-dessus la pollution.
-Ici, il fait gris, mais c'est normal, le soleil et il est par-dessus la pluie.
-T'as bien dormi?
-Non, et j'ai payé un petit déj' merdique et là, je vais m'enquiller le taxi aussi. Et toi?
-Plus ou moins.
-Bon allez, le taxi est là, je t'appelle quand j'arrive à la gare ce soir. Tu me manques.
-Pareil, à ce soir. On a cent dix-neuf Euros de crédit d'impôts.
-Cool, au moins une bonne nouvelle. Je t'aime.
-Pareil, à ce soir."
C'est à l'heure prévue de son arrivée à la gare et donc à une heure de son retour à la maison en tant que chef de famille que Copilote ne m'appelle pas comme convenu.
Je présume qu'impatient de me retrouver, il a récupéré sa voiture de location et a pris l'autoroute, en chantant des chansons d'amour gai, vérifiant de temps en temps la fraîcheur de ses aisselles
ou testant son haleine mentholée contre sa main en changeant de vitesse.
Quant à moi, je tente d'anesthésier ma langueur en pliant et dépliant mes piles de linge, allant même jusqu'à déplacer Cariolette devant la maison, de façon à éviter le reproche de trop la coller à
Troicencette, que j'avais pris soin de garer derrière la maison pour que Copilote perclu de fatigue, n'ait pas à trop marcher pour arriver sur le perron et m'y étreindre tendrement et
passionnément.
Lorsque j'entends les roues louées crisser sur le gravier de l'entrée, je me précipite sur la terrasse, à l'abri de l'averse qui était en train de s'abattre sur nous.
Enfin, je le vois s'avancer vers moi, son sac sur le dos et un papier dans la main.
Il me passe devant, et déplace soudain l'air frais du début de la nuit.
"Ebé putain, super la formation.
-...Toi aussi tu m'as manqué, tu sens bon, oui, ça va, j'ai réussi à tout faire, me tardait de te voir, j'ai préparé le café, je savais que ça te ferait plaisir de me revoir.
-J'ai avancé tous les frais. Et arrivé à la gare, j'ai eu la super surprise de trouver une prune sur le pare-brise et de voir le pare-chocs défoncé. Cent trente-cinq Euros. J'ai tout gagné.
-C'est vrai que tu m'avais dit que tu t'étais garé un peu à la bourre.
-Et j'ai pas vu que je m'étais foutu sur un emplacement réservé. Comme un con, j'ai préféré ne pas rater le train.
- Vois le bon côté des choses, tu sais systématiser les ventes associées au moins.
-Je suis nase, je vais me coucher.
-Le vent est frais ce soir, tu trouves pas?
-Oui, et il coûte cher."
J'ai bien fait de ne pas en vouloir à l'homme qui manque à ma vie dès lors que je le quitte des yeux plus de huit heures.
Le lendemain soir, j'ai eu droit aux excuses légitimes en vigueur avec l'infraction commise la veille.
J'ai décidé de ne pas lui retirer des points sur son permis de m'aimer, j'ai estimé en mon âme et conscience que son stationnement n'était pas gênant.