Jude, Françoise Chandernagor

Publié le 23 octobre 2015 par Rolandbosquet

      La campagne somnole paresseusement en ce dimanche ordinaire de fin octobre. Lorsque, sur le coup de tierce, l’air retentit soudain de l’appel des cloches de l’église. Les fidèles sont conviés à l’office dominical et la carillonnée est d’autant plus fervente qu’ils deviennent de moins en moins nombreux. Ils n’étaient guère plus nombreux il y a 2000 ans autour de Jacques, Pierre et Simon pour commémorer leur dernier repas avec Jésus. Françoise Chandernagor s’est plongée dans cette période du premier siècle de notre ère et nous la restitue à travers le regard de Jude, le dernier fils de Joseph bar-Jacob et de Marie. Le choix de Jude est habile. Le cadet de Jésus est plutôt timide et peu porté aux grandes déclamations sur le parvis du Temple. Mais il sait lire et écrire et pourra donc rapporter sur papyrus le récit de la vie de son illustre frère et les débuts chaotiques de la petite secte juive qui allait conquérir le monde. Les documents historiques ne manquent pas. Ils sont hélas souvent incomplets, d’origine douteuse sinon même manipulés. Françoise Chandernagor choisit donc le roman qui lui laisse la liberté de ne retenir que les faits ou les interprétations qui lui paraissent les plus utiles à sa démarche. Et elle nous montre un peuple juif souffrant sous le joug des Romains et des dignitaires corrompus collaborant avec l’occupant comme il s’en trouve toujours et partout. Un peuple juif recroquevillé sur lui-même et ses valeurs traditionnelles. Un peuple juif tellement assuré d’être le peuple élu qu’il considère ses voisins comme impurs et à peine fréquentables. Dans un tel climat religieux, social et politique, Jésus, qui ne ménageait pas ses critiques, ne pouvait que finir sur le bois, comme un brigand. Découragés, perdus, égarés, persuadés d’être pourchassés par les serviteurs du Temple, déçus par ce qu’ils considèrent comme la fin de leur rêve, celles et ceux qui suivaient le "Nazaréen" avec vénération au long de ses pérégrinations se dispersent hors de Jérusalem. Mais voilà que quelques-uns des disciples affirment avoir vu et parlé avec le "crucifié". Tous retrouvent confiance. Ils se réunissent une nouvelle fois pour revivre leur dernier repas avec celui qu’ils considèrent désormais comme l’envoyé de Dieu. Et comme le firent Marc, Lévy dit Matthieu, Luc et Jean, Jude nous raconte comment un souffle venu du ciel les dote de courage, de pugnacité et du don des langues. La poignée de fidèles va se disperser de nouveau mais pour prêcher cette fois la bonne nouvelle : Il est ressuscité et nous ressusciterons nous aussi au jour de gloire. Mais il y a malentendu. Ils croient que ce fameux grand soir arrivera bientôt avec la délivrance des terres d’Israël de la domination des corrompus et des Romains. Portés par leur foi, ils vont de synagogue en synagogue pour convaincre les juifs de se convertir à la nouvelle croyance. Jusqu’au jour où arrive Paul. Il ne paie pas de mine mais il est aussi ardent prédicateur qu’il avait été ardent opposant. Et il est intéressant de rapprocher le récit du Jude de Françoise Chandernagor des pages presque agiographiques d’Emmanuel Carrère dans son Royaume. L’une décrit le petit homme de Tarse comme un hystérique échevelé qui n’écoute personne et moins encore Jacques qui s’est érigé en chef de la petite communauté de Jérusalem. L’autre lui accorde mille qualités, flamboyant, acharné, passionné et infiniment sûr de lui. Mais la vraie différence réside surtout dans son discours porteur d’une vision universelle du message de Jésus. Vision bien opposée à celle des Juifs. Jude ne saura pas dépasser le cadre étroit dans lequel il a toujours vécu et cru. L’histoire dira qu’il avait tort. Certes Françoise Chandernagor prend précisément maintes libertés avec ce que les historiens considèrent comme la plus probable réalité (lire le Jésus de Jean-Christian Petitfils, Fayard). Mais est-ce là le plus important ? Par son style qui rappelle les écrits de l’époque, elle nous entraîne dans un monde à la fois lointain et presque exotique mais hélas encore bien présent si l’on en croit Charles Enderlin tel qu’il l’explique dans son livre Au Nom du Temple (Seuil).  Et l’approche, quoique différente, de ces auteurs ne peut qu’aider le lecteur à mieux comprendre l’histoire actuelle de cette région du monde si particulière qu’est la Palestine et l’histoire même de la chrétienté. Notre histoire. Ce qui nous laisse encore bien des choses à penser tant les chemins du futur sont imprévisibles.

(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)